mardi 31 janvier 2017

Traversée Saint Helena - Joao Pessoa, Brésil - LIONEL 3



Des intrus à bord ...

Je ne saurais vous cacher que l'un de mes moments préférés sur le bateau est le quart de nuit et surtout depuis que nous avons atteint les tropiques, récupéré les alizés et que la lune n'est plus présente dans ma plage horaire. Je suis responsable du quart de 23h à 1h30, ce qui n'est véritablement pas un problème pour moi étant de la famille des couche-tard.

Depuis Sainte Hélène, il est désormais possible de passer le quart sur le pont arrière, température idéale, climatisation naturelle alizéenne et whaouuuu la voûte céleste ... Je vous avais déjà décrit la haute mer, comme un disque de liquide bleu en perpétuel mouvement dont nous sommes en permanence le centre. La nuit, et de plus la nuit sans lune, le disque se trouve alors recouvert d'un fantastique dôme étoilé... Je n'ai pas assez de talent d'écriture pour vous le décrire, le seul moyen de vous en donner quand même un petit aperçu est de le comparer à ces petits dômes en plastique possédant en leur centre une allégorie kitch et lorsqu'on les secoue la neige tombe, je suis sûr que vous visualisez mieux maintenant où se déroule mon quart... réellement féérique ... avec bien sûr avec une bande-son incroyable !!!

NDR : ni photo ni film (pour la bande-son) à publier par manque de matos adéquat.. Oui, les lecteurs assidus de ce blog, et les autres aussi (!), peuvent envisager de faire un don.. Pour vous en remercier par avance, je vous offre cette photo de coucher de soleil sur l'Atlantique Sud : 



Au milieu de ce décor, moi je suis assis sur la chaise de pilotage, tout seul, tout le monde est couché, je suis le capitaine du bateau, maître à bord... Ce n'est plus tout à fait moi qui suis là, il y a un peu de Cristóbal Colón, un peu d'un équipier du capitaine Achab sur le Péquod, un peu de Rackham le Rouge, un peu du Jim de l'île au trésor et tant d'autres... Enfin, vous l'avez compris, j'ai repris contact avec moi même lorsque j'avais huit-treize ans, nous nous étions un peu perdu de vue tous les deux mais les retrouvailles se sont bien passées, il a un bon fond ce petit gars, j'espère que la vie ne va pas trop l'abîmer... dire qu'il a fallu traverser l'Atlantique pour le retrouver ...

C'est au cours d'un de ces quarts, que l'épisode des intrus a démarré, je suis à mon poste essayant de débusquer la baleine blanche dans la réverbération de Vénus. Quand soudain un bruit sur ma gauche, je me lève et là grosse grosse frayeur, deux ombres noires fantomatiques s'élèvent lourdement devant moi et tournent autour de ma tête...
Je cours me réfugier dans le carré, mais où donc est passé le fier capitaine ?

Maintenant, il faut que je retourne dehors, je dois scruter l'horizon tous les quarts d'heure afin de débusquer un éventuel bateau sur notre route, non équipé du système anti collision... Je prends mon courage à deux mains, retour sur le pont, malédiction, les deux ombres virevoltent au-dessus de l'éolienne a priori totalement fascinées par son mouvement circulaire... et là, c'est le drame, l'un des volatiles heurte une pale du ventilateur et est projeté sur le bateau... là c'est définitif je retourne dans le carré et n'en sortirai plus, de toute manière je dois passer le relais au vrai Capitaine de Bluenote.

Lendemain, Winchy (c'est mon nouveau surnom) raconte l'épisode de la nuit, tout le monde rigole. Winchy a eu peur de deux petits oiseaux bla-bla-bla. Et au fait existe-t-il une preuve de ce qu'il raconte hein, cela ne serait-il pas sorti de l'esprit un peu ... nous nous approchons de l'éolienne et bling nouvelle scène de crime, la jupe de Bluenote est constellée de sang, une boucherie. Les experts locaux commencent avec minutie l'analyse de la scène mais il faut vite se rendre à l'évidence, aucune trace du corps de la victime.

NDR : « Winchy »  car Lionel nous a épaté la 1ère fois que le capitaine le chargea de faire monter la GV en haut du mat. Comme s’il avait fait ça toute la vie, il a manœuvré le winch avec une force peu commune. Certes, il semble que l’effort fourni l’épuisa car il n’a pu renouveler cette performance malgré mes bons petits plats et même une tarte aux épinards qu’à son attention j’avais cuisinée un soir..

La journée se passe et l'épisode "décapitation du volatile" est oublié. Le soir venu, Alexandra démarre son quart, il est 20h30, le capitaine part se coucher (il est responsable du pire quart 1h30 - 4h00) et Alain et Winchy rejoignent leur tanière. 



Vers 21h00 un cri déchire la nuit, personne ne l'entend... Alexandra vient de subir une violente agression de la part du volatile survivant, elle est en état de choc, elle rejoint le carré et se carapate dans un coin, il est hors de question qu'elle retourne sur le pont.

NDR : Remise de mes émotions, je peux enfin vous décrire la scène de cauchemar que j’ai vécue. Je sors dans le cockpit pour mon tour de pont tous les ¼ d’heure. Je suis fière de cette responsabilité qui m’incombe, veillant sur mon petit monde endormi, confiant car je veille. L’air est léger et doux, la nuit étoilée m’enveloppe. Quand de cette belle nuit surgit vers moi une ombre noire qui vole. Reconnaissez qu’il y a de quoi être surprise et hurler !! Mais pire encore que cette frayeur subite fut l’absence de réactions des équipiers dont le capitaine, mon homme, à mon cri poussé dans la nuit, noire, seule, sans défense !!

Winchy la retrouvera deux heures plus tard pour la relève du quart, elle est toujours en état de choc et peine à lui raconter ce qui s'est passé. Elle répète inlassablement "ils sont revenus, ils sont revenus". Winchy arrive enfin à la raisonner et elle accepte de rejoindre son Georgio.

Le lendemain, le palmipède responsable de "panique au milieu de l'Atlantique" est repéré à l'avant du bateau... Alexandra et moi-même sommes un peu surpris, il n'est vraiment pas très effrayant, le reste de l'équipage se gausse !!!! Seul son bec est un peu imposant et nous comprenons à la vision de l'envergure de ses ailes les raisons de la lourdeur de son envol (cf l'albatros C. Baudelaire en version de poche).

NDR : Toute ressemblance avec un albatros serait fortuite..

Il est évident qu'il a eu aussi peur que nous lors de nos rencontres nocturnes. Mais, je vous jure qu'à notre décharge une forme noire qui frôle vos cheveux, car en fait il n'est pas doué du tout pour la phase d'envol, seul dans la nuit au milieu de l'Atlantique, ça file un peu la pétoche.

Voici la photo du redoutable palmipède, qui j'en ai peur a perdu son compagnon, victime de notre éolienne....






NDR : notez en agrandissant la photo (il suffit de cliquer dessus comme pour toutes les photos) qu’il a, à l’arrière de la tête, des plumes manquantes...