jeudi 30 mars 2017

Bluenote et la baleine - Thierry



Bluenote filait bon train sous Grand Voile haute et foc endrayé au vent, tribord amure à 150° du vent dans des alizés du Sud Est de 15 à 18 nd. 
A mi-chemin entre Antigua et Barbuda, le soleil de 13:00 était écrasant, sévissant juste derrière la chute de la grand-voile à cette allure.

Le siège confortable du barreur étant trop exposé à ses rayons brûlants, je me tenais à genoux sur la banquette, les coudes appuyés sur le roof de la cabine, la tête à l’ombre du bimini, et fixais l’horizon devant moi, me délectant de cette mer d'un bleu profond, parsemé de blanc sur la crête de ses vagues.

Soudain, mon attention fut attirée par un phénomène étrange, un souffle jaillissant de l’eau, droit devant sur notre axe à environ 2 minutes. Un deuxième souffle apparut 20 secondes plus tard… Plus de doute, ce devait être une baleine, et nous foncions droit dessus !
J’appelais aussitôt Jean Luc et les filles pour profiter de cette rare rencontre, les sortant de leur lecture respective.

La baleine dut sentir notre approche, car elle se mit à sauter hors de l’eau une première fois, en se vrillant avec grâce comme pour nous regarder du coin de l'œil, sa tête et ses nageoires blanches retombant lourdement dans l’eau en soulevant un nuage d’écumes autour d’elle. Puis une seconde fois encore plus haut, toujours en se vrillant pour bien nous surveiller. Nul doute, elle nous signalait sa présence, et par ses coups de queue successifs nous montrait qu'elle se déplaçait sur notre droite.

Je cherchais désespérément mon appareil photo pour saisir ces instants magiques, quand elle sauta une troisième fois… à cet instant encore plus près de nous, majestueuse...

La baleine était maintenant par le travers tribord de Bluenote à 60 m au vent, elle semblait avoir redressé sa trajectoire et se déplaçait parallèlement à nous en sens inverse.. Elle était presque aussi longue que notre catamaran de 15 m !

J’avais enfin l’appareil photo entre les mains et pus saisir ce moment incroyable où le danger évité, allongée calmement de tout son long à la surface de l’eau en nous croisant, elle souleva à deux reprises son immense nageoire blanche en se tournant vers nous à notre hauteur, et la maintenant verticalement en l’air quelques secondes, replia son extrémité - comme un marin aurait levé son bras puis fermé la paume de sa main pour nous saluer - avant de la laisser retomber de tout son poids dans l’eau écarlate.

Puis elle disparut dans le sillage de Bluenote.
Inoubliable…





Martinique - Guadeloupe : Récits de Thierry


Georges, de retour en France, profite de Sète et de moi et il a laissé Bluenote en Martinique "aux bons soins" de notre ami Thierry Péponnet.
Bluenote continue donc sa remontée de l'arc antillais pour le plus grand bonheur de son nouvel équipage. 
Et de Bluenote car Georges l'a confié à 2 très, très, bons marins.
Voici les récits et photos de Thierry.


Anse d'Arlet - Portsmouth - La Dominique La parenthèse verte

Après avoir abandonné au Marin, en Martinique, Georges, Laurent et Alain à leur triste perspective de "retour à la maison", nous mettons le cap sur l’Anse d’Arlet avec à bord de Bluenote un nouvel équipage composé de Jean Luc Nelias et sa femme Rosine, ma femme Laurence et moi même.
Premier mouillage où nous retrouvons le catamaran de Marco.

NDR qui conseille aux lecteurs pour leurs prochaines vacances aux Antilles de réserver le cata Cirique de notre très bon ami Marco :

Les essais de crocheter le sol sableux avec l’ancre restés infructueux, nous repérons une ancienne bouée 3 mètres sous l’eau accrochée à un solide cube de béton. Jean Luc se jette à l’eau pour y passer une amarre.
Le mouillage ainsi sécurisé, nous décidons de changer l’ancre pour celle identique de remplacement stockée dans la baille à mouillage. Nous espérons que celle-ci s’avérera par la suite d’une efficacité conforme à nos attentes.
Le punch à l’apéro fut bien mérité, et le diner au poulet coco colombo avec Marco aussi riche d’échanges que bien arrosé.

Arrivée en baie de Portsmouth :
Sur les conseils de Marco, demandez Charly, il vous trouvera une bouée pour passer la nuit en toute sécurité, et vous organisera les excursions souhaitées. 
Le lendemain, il pleut en terre, l’excursion en forêt dominicaine ne nous est pas conseillée... nous opterons donc pour la remontée de l’Indian River en pirogue, à la force des bras de Charly, les moteurs étant interdits une fois passé le pont.


Sur la rive nord, une petite cabane qui a été installée pour le tournage de « Pirate des Caraïbes 2 ».
Etonnant ces racines torturées des arbres d’une végétation certainement millénaire.


Après une heure de remontée, un petit ponton nous mène a un bar… Georges,  Laurent et Alain, mes précédents compagnons de route auraient apprécié...



Un punch "dynamite" nous attend, dans un écran de fumée d’une coco en braise.




Inutile de vous dire que le retour vers Bluenote fut bien égayé par nos rires niais qui couvraient le ricanement des aigrettes.

Nous reprîmes la mer vers les Saintes, Jean Luc n’ayant pas d’autre choix que de prendre les commandes du bolide, les 3 autres compères et commères ayant disparus soudainement dans leur couchette, encore assommés 3 heures après la prise par ce breuvage qui portait bien son nom...



Guadeloupe : Les Saintes - Deshaies

Mouillage des Saintes, en fin d’après midi, un petit coin de paradis :



et balade en ville le lendemain pour refaire le plein de légumes et de fruits à l’heure où d’autres vont à la messe




Entre les Saintes et la plage Deshaies, un bon vent trois quart arrière fut l’occasion d’une pointe de vitesse à 18,6 nds sous gennaker à bord de Bluenote, avant de l’affaler pour le préserver. Bluenote est un vrai bolide, je confirme !

La superbe grande plage Deshaies et son sable ocre, bordée de sublimes cocotiers :



un cadre fabuleux pour un coucher de soleil précédant une nuit tranquille au mouillage.



Le lendemain, 2 heures de nav pour rejoindre l’Ilet Caret, un confetti tout blanc au milieu d’une eau turquoise au nord de la Guadeloupe :

Le temps pour Jean Luc de tester sa nouvelle aile de kite et de se familiariser avec le water start depuis Bluenote :



puis l’apéro obligatoire : un verre de rosé dans l’eau transparente de l'ilet




Jean Luc en profite pour m’initier au contrôle de l’aile de kite depuis la plage, passage obligé pour tout débutant en kite :



Une bonne sieste d’une heure bercée par le clapot au mouillage, puis nous rejoindrons Port Louis à 7 miles dans le Nord est. 
Le légendaire Woni Barfleur nous attend chez lui en bord de plage avec son ti-punch et 4 langoustes dans la gamelle. Soirée mémorable auprès d’un grand costaud pêcheur de Langoustes (il en a 150 kg dans ses congélateurs !) accueillant et rigolard : un personnage tout en couleurs !





lundi 27 mars 2017

Impressions de Laurent de Grenade à la Martinique



Suite des impressions de Laurent et quelques photos : 


Thierry Péponnet est monté à bord à Grenade. Il a donc rejoint Georges, Alain et votre serviteur.



 
Nous mouillons, au large de Carriacou, face à l’île de carte postale qu’est Sandy Island. 


Sur le bateau d’à côté, nous découvrons une ex miss univers de 35 ans, au moins triple championne du monde de Kite surf. Malheureusement, son conjoint de 20 ans mesure 2,12 m remplis de carrés de chocolat (j’exagère pas beaucoup plus que d’habitude). Le cœur brisé mais lucides, nous décidons de partir vers les Tobago Cays.

Le décor y est encore plus sublime : 2 barrières de corail concentriques et des atolls. Toutefois, il y a un mais. Tous les gagnants du loto, du premier rang, des 35 dernières années, s’y sont donné rendez-vous. Grâce à la dextérité de notre équipage d’élite, nous arrivons, par d’ingénieux créneaux, à ancrer le Bluenote dans cet archipel de navires. 


 
Le lendemain, 5h45, je sors, la tête dans le …, faire pipi à l’arrière du bateau. Me voici urinant à 2 m d’une américaine qui m’observe attentivement en dégustant son café. L’ancre n’a pas tenu et nous avons glissé d’environ 50 m. La nuit suivante, avec 2 ancres, le résultat est identique (sans l’anecdote avec l’Américaine). Nous partons alors vers Bequia à la recherche d’une bouée.

Rasta land est entièrement peinte en rouge vert jaune, les trottoirs, les arbres, les cailloux, les maisons. L’ambiance est particulièrement détendue. Nous sommes tous les quatre sous le charme.

Après être passés par Sainte Lucie, je découvre la Martinique. J’ai l’impression d’être en Normandie, tellement il y a de vaches. Quelle surprise !
Laurent



samedi 18 mars 2017

De la Guyane à la Martinique : Impressions de Laurent



Bluenote vient d'arriver en Martinique et son capitaine Georgio va rejoindre sa belle à Sète pour quelques semaines. Fin de la deuxième partie du grand voyage, Australie-Sète. Nous les retrouverons en avril à Saint-Martin avec des équipiers de choix... surprise à venir !

En attendant leurs prochaines aventures voici, pour refaire un petit tour en Guyane, quelques photos de notre séjour :
- Selfie chez ma cousine Béatrice à St Laurent du Maroni :




- La maison de Claude et Béatrice : havre de bien-être et sérénité sous les tropiques, j'adOre :










- Un papillon, le morpho menelaus, qui a traversé la route devant nous alors que nous roulions de Cayenne à St Laurent du Maroni : TRÈS grand et magnifique, ma mémoire en gardera toujours la trace (contrairement à la mémoire de mon téléphone qui a soudainement, à mon retour, effacé TOUTES mes photos depuis 1 an.....................)

la photo de cet extraordinaire papillon ci-dessous a été prise au musée de la Transportation (pas gai, notre passé en Guyane...) de St Laurent du Maroni :






- Pas de photos malheureusement de nos retrouvailles et des nombreux joyeux moments passés ensemble avec Michel, installé à la marina de Degrad des Cannes depuis quelques années après avoir fait construire son bateau, à Sète, à côté de celui de Patrick qui construisait son Aquablue, devenu notre Bluenote !


Et maintenant les impressions de voyage de Laurent, équipier monté à bord en Guyane :
Voici Georgio et Laurent au marché de Cayenne avant leur départ :






De Cayenne aux îles du Salut 
De Waterworld à Papillon

Arrivés au grand port de plaisance de Cayenne, nous nous trouvâmes dans un décor post guerre nucléaire. Toutes les places aux pontons étaient occupées par des bateaux épaves servant d'habitations : un bidonville aquatique. L'eau était beige et le ciel gris, il faisait froid. Les rares embarcations encore capables de flotter étaient au large au mouillage.
Quelques heures de navigation plus tard, les trois îles du Salut, tout droit sorties de nos rêves, nous offrirent un contraste extrême. Après un bain dans une eau claire à 28 degrés, nous foulâmes ce coin de paradis...
Il m'est bien difficile d'imaginer qu'un tel lieu fut un jour un bagne.


Des îles du Salut à Grenade
La planète eau d'Interstellar featuring le marsupilami.

Au large du fleuve Maroni, Alain Findus Gromier a réalisé l'exploit de pêcher un piranha. En bons gaulois nous l'avons mangé. Visuellement sa chair ressemble à celle du thon mais gustativement cela s'apparenterait plutôt à du loup en plus ferme. Houba !
Notre navigation par petit vent, petit à petit, effaça les terres émergées. Perdu  sur ce grand lac, je me persuadais que la civilisation des rampants avait disparu. Débarrassé de cette espèce endémique, je fus saisi par une immense paix. Contrairement à mes coéquipiers, je souhaitais que le vent tombe afin de ne plus jamais retrouver la civilisation, nommée ainsi par ironie. Malheureusement, toutes les bonnes choses ont une fin. Après quelques jours de mer, Grenade pointait à l'horizon. Au revoir les dauphins, les poissons volants et la voute céleste.


Arrivée à Grenade

Contraste, ce voyage n'est que contraste.
Dans une baie pour millionnaires, nous accostons. Les bateaux sont très beaux et les navigateurs très âgés. Quel bonheur de déguster de la langouste entouré par de sympathiques vieillards en chemises hawaïennes. Les habitants de cette île nous montrent beaucoup de gentillesse. Un dimanche, nous visitons la capitale Saint George qui du fait du lobbying religieux est entièrement abandonnée. Tout est fermé, pas un boxon, pas un troquet. Cette citée populaire ne ressemble pas du tout à notre marina. Nous n'y rencontrons qu'un dealer de ganja frelatée qui a son grand désarroi, parvient seulement à nous vendre 3 bières fraîches. Le tourisme est foutu, dut-il penser...


Carénage 

La grosse galère d'un navire est la maintenance. En dehors du fait que le coût d'entretien annuel est supérieur au PIB de l'Albanie, il convient de faire tout un tas de trucs. Celui qui est le plus étonnant est le carénage. Pour ce faire, il faut appliquer régulièrement et de façon régulière une peinture super polluante sur la coque. Après tout, certaines usines du tiers monde font encore plus de mal à la nature.
Premier chantier : le bateau est trop large.
Second chantier : nous nous retrouvons à Saint Saint-Nazaire en moins coquet, plus bruyant et sans Muscadet.
Troisième chantier : nous voici ici en plein cœur de la jungle au Vietnam. Trop cool, c'est le bon ! Une plage, un bistro sympa, la vie quoi.



ils auraient pu choisir la baie d'à côté : Sagesse bay !


A partir de Grenada, Bluenote a repris la mer. Avec un équipier supplémentaire.  Thierry, à qui Georges confie son bateau pendant son retour en France.
L'équipage était donc composé de 4 hommes : Georgio, Alain, Laurent et Thierry. Ils ont remonté l'arc antillais, avec escale tous les soirs : Cariacou, Tobago cays, Bequia, Sainte-Lucie. Et Martinique ! 
Pas de nouvelles mais on peut penser que les petites nav d'une île à l'autre ont dû être cool et bien arrosées !








mardi 14 mars 2017

"Ma" grande traversée : Addenda d'Alexandra








Écrire : essayer méticuleusement de retenir quelque chose.
Arracher quelques bribes précises au vide qui se creuse,
laisser, quelque part, un sillon, une trace, une marque ou quelques signes.

Georges Perec

Qu'ai-je retenu de cette expérience extra-ordinaire que j'ai vécue, grâce à Georges, à bord de Bluenote ?
J'ai pris beaucoup de notes, j'ai tenté par mes post sur le blog de vous en faire partager quelques bribes. Mon fichier de photos déborde.

Mon corps, ma peau, gardent en mémoire " la mer, la mer, toujours recommencée ! ". Et le bateau qui court sur les vagues, qui ne demande qu'à courir. Sûr de lui et rassurant pour son équipage. Et le vent, le sel, le soleil, la nuit noire autant que l'éclat d'une journée écrasante de lumière, les variations de températures selon les latitudes. Et la mer, la mer, à perte de vue, qui nous porte, nous transporte, nous nourrit, nous émerveille ou nous impressionne, la mer qui glisse le long des coques ou s'y fracasse, la mer, verte, bleue, grise, marron, la mer, tapis scintillant ou noir velours, la mer qui nous entoure, nous borde, qui nous cerne ou nous embrasse, selon ses humeurs.
Ces sensations m'ont été sans discontinuer prodiguées par la nature. Les escales étaient à ce titre bienvenues : on faisait relâche dans les ports comme dans nos corps.

Et puis il y a les faits objectifs : les pays visités, les personnes connues ou inconnues rencontrées, les méridiens et parallèles - dont le Tropique du Capricorne et le méridien de Greenwich - franchis chaque jour jusqu'à l'équateur pour passer d'un hémisphère à l'autre. Autant de lignes tracées par l'homme pour se créer des repères sur la mer.

Et à l'arrivée : 


Alors avant de passer la parole aux équipiers suivants sur de nouvelles routes, voici d'autres bribes de souvenirs du bord, miscellanées heureuses :


- Le pain de Georges qui après avoir chatouillé délicieusement nos narines régale nos papilles, tous les jours :






- voir le soleil se lever :




- éteindre les feux de route quand le soleil pointe sur l'horizon :



- la pêche
Mais ça vous le savez déjà, alors pour le plaisir en voici encore quelques instantanés : là c'est un barracuda




- hisser le pavillon Q, soit le pavillon jaune.
Car c’est le signe qu’on va "atterrir".
C’est aussi dans l’alphabet maritime la lettre Q pour Quarantine (english).
Quand on arrive dans un pays, on doit hisser le pavillon du pays, appelé pavillon de courtoisie, et le pavillon Q pour signaler aux autorités qu’on attend les instructions et/ou autorisations pour descendre à terre.



- la douche au seau dans la jupe : j'ai inauguré cette façon de prendre sa douche (puis l'ai conseillée discrètement aux équipiers.. pour une meilleure entente entre nous car la proximité est grande à bord d’une surface réduite !)

On s’installe dans la jupe avec un seau (amarré) et on "puise" de l’eau de mer.
On s’asperge avec, à volonté, l’eau est inépuisable, on se savonne, on se rince, et on fait un court rinçage à l’eau douce grâce à la douchette installée dans la jupe. C'est un régal, un plaisir immense :





- A terre ! Alain, Winchy et Alexandra dans la Chevrolet sur les routes de Saint-Helena, avec Winchy qui en profite pour faire un selfie :



- la photo la plus étrange car prise en format panoramique mais quand le bateau bouge beaucoup :


 
quand je vous disais que la mer était agitée...


- LE tattoo
Résultat du concours de notre Tattoo pour le passage de LA ligne : nous avons choisi celui proposé par Winchy, revisité à ma demande par Marthe : 

NDR : torse non contractuel.


- 4.700 MN
pour naviguer de la ville du Cap, en Afrique du Sud à Cayenne, en Guyane.
conversion rapide des MN en kms : on multiplie par 2 et on retranche 10%, 
soit = (4.700 x 2) – 10% = 8.460 kms (environ)


- Un incident scientifique dû à Coriolis
Si vous avez bien suivi, nous sommes donc passés de l’hémisphère Sud à celui du Nord. Ce qui m’amène à une observation scientifique essentielle :

Ce savant a découvert une force qui fait s’inverser le sens de l’écoulement de l’eau dans un siphon, avais-je lu. Siphon d’évier s’entend pour moi, cook à bord. C’est une approche plus pragmatique que scientifique de la force de Coriolis, j’en conviens, mais Google n’étant pas dispo en navigation, je m’en  tins à ce seul aspect.
Après en avoir vérifié la véracité dans l’hémisphère Sud, j’ai suivi degré par degré notre progression pour ne pas rater le moment où, dans mon évier (qui est un peu mon objet fétiche, voire mon objet transitionnel à bord tant je le bichonne et lui confie au fil des repas le soin de me rassurer) l’écoulement de l’eau passerait du sens inverse des aiguilles d’une montre au sens opposé. En effet, sous mes yeux médusés (notez l'à-propos de la métaphore) le sens d'écoulement de mon eau de vaisselle a un jour changé de sens. Petit moment solitaire de gloire avec la sensation que le carré de Bluenote est devenu un haut lieu d'expérimentations scientifiques, à l'insu de Georges et Alain qui se reposent au moment de ma découverte.

Eh bien c'est faux !! Grosse déception.. tout ce que j'ai écrit ci-dessus est bien le fruit de mon expérience mais ce jour-là, c'était juste un hasard. Google me l'a expliqué : que ce soit dans l'hémisphère nord, l'hémisphère sud ou à l'équateur, l'écoulement de l'eau dans le lavabo peut autant se produire vers la gauche que vers la droite !
Il ne me fallait pas lire siphon mais typhon...
Un tourbillon dans l’évier est plus sensible aux forces de frottement dues aux aspérités du lavabo qu’à la force de Coriolis, contrairement aux cyclones et typhons (même chose) où Coriolis joue un rôle important.
Pour moi, encore une certitude qui se délite, c'est le cas de le dire !


- Rencontre en mer :
« Sailing boat on my port side, sailing boat on my port side » à la VHF.
L’appel est plusieurs fois répété, nous sommes tous sur le pont en manœuvre.
Georges finit par pouvoir répondre. Un pétrolier de 183 m, l’Evros nous indiqua l’A.I.S. longeait notre tribord, son capitaine voulait tailler une bavette avec nous. Il a d’abord demandé qui on était, puis si on avait besoin de quelque chose, enfin d'où on venait, où on allait etc… Super sympa. Georges lui a même demandé s’il faisait la course avec nous ! Et il voulait savoir si on allait naviguer vers la France, peut-être parce qu’il avait la nostalgie de son pays, et que "chez nous", nous baignons dans la même mer, il était grec.


- Éloge de la lenteur, last but not least :

En guise de souhaits pour ma grande traversée, les mots de Baudelaire résonnaient en moi :
"Il est l'heure de s'enivrer !
Pour n'être pas les esclaves martyrisés du Temps,
enivrez-vous ;
enivrez-vous sans cesse !
De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise."

Mes vœux ont été exaucés. Mais c'est le Temps qui est en l'élément majeur : l'essence même du voyage en bateau, a fortiori lors d'une grande traversée,
c'est la pratique de la lenteur. Et le plaisir qui en découle. La lenteur nous permet d'échapper au rythme effréné de nos vies de terriens et nous rappelle le nécessaire ralentissement à leur imposer.
Au lieu de la recherche compulsive d'intensité, sinon on croit qu'on va dépérir comme une plante qui manque d'eau, on retrouve, soulagé, la simplicité dans un monde devenu de plus en plus complexe, une consommation adaptée aux éléments qui nous entourent et un moyen de locomotion qui ne dépend que d'eux.


Conclusion :
- " Alors c'était comment, t'as aimé ? "
- " OUI. C'était SUPER ! "
Même si " le voilier est de loin le moyen le plus lent, le plus inconfortable et le plus humide pour quitter un endroit où l’on se trouve particulièrement bien et rejoindre un endroit - pas forcément prévu - où l’on n’a rien à faire " comme aiment à le décrire les voileux.

Je peux maintenant retourner à ma peinture après cette exceptionnelle aventure océanique et demeure dans le mouvement parce que "L'art est ce qui aide à tirer de l'inertie" (Henri Michaux).

Mais j'ai découvert que naviguer c'est aussi un art et Georges le pratique avec talent.







dimanche 5 mars 2017

Traversée de Joao Pessoa, Brésil vers la Guyane


Bonjour à tous,
Je vous ai laissés à notre départ du Brésil où le carnaval se préparait : 



Voici enfin le récit de notre traversée vers la Guyane :

Alain et moi, mais pas Georges qui est un marin d'expérience, craignions pour  cette traversée l'un des cauchemars du marin : être encalminé = immobilisé par l'absence de vent. Car nous allions traverser la célèbre Z.I.C : la Zone Intertropicale de Convergence. 


Une zone créée par les anticyclones Nord et Sud, celui des Açores et celui de Sainte-Hélène. Pour faire court : quand on navigue sur le dos des anticyclones, on est porté, emporté, par eux. C'est le régime des alizés, "normalement"  confortable. (Notez le "normalement" entre guillemets car ça n'est pas toujours le cas.. La  lecture de ce blog a dû vous le laisser entendre.)
Entre les deux, c'est la Z.I.C. = une zone de conflit car de ces 2 anticyclones partent des masses d'air qui convergent en s'opposant.

A part cette légère appréhension au sujet de la Z.I.C. pour 2 d'entre nous, nous partions heureux, équipage réduit à 3 du fait du départ de Winchy. Légumes et fruits envahissaient cockpit et carré, la perspective de festin grâce à eux réjouissait nos papilles, nos cales débordaient de boissons désaltérantes (!), nous étions fin prêts pour le départ :  



La poissonnerie était rouverte :



La croisière redémarrait, s'amuserait-elle encore ?

Les premières 24h, nous sommes contents, nous marchons bien : une moyenne de 10 nœuds. L’usine de poissons s'est remise en route avec la pêche d'un petit thon. Je fais un tartare et nous nous installons pour notre partie de cartes. Il est 18h quand nous pensons à l’interrompre pour ranger le spi. A ce moment-là on entend un claquement sec et je vois par le hublot une bande de spi comme je ne l’ai jamais vue. Georges s’est déjà précipité dehors. Et constate. Le spi s’est déchiré en deux… A la hauteur de son 1er tiers. Une partie reste sur la drisse, l’autre est à l’eau et a tout de suite stoppé net le bateau. Mais on a tout récupéré, rien perdu. Demain on verra si on peut réparer.

Bonne nuit avec des quarts de 3h1/2 cette fois-ci car nous ne sommes plus que 3. Winchy manque aussi pour ça ! Une veille attentive tous les ¼ d’h est nécessaire du fait que nous longeons la côte et qu’il y a des pêcheurs qui peuvent s’aventurer à plus de 10 MN de leurs côtes et… sans lumières ! Et nous croisons beaucoup de cargos dans cette zone.
La demie pleine lune s’est levée tôt, sa forte luminosité empêche de contempler le ciel étoilé mais éclaire chaque crête de vagues. Bluenote glisse alors sur un tapis argenté.

Le lendemain matin, l’ordi portable de Georges, qui sert à la navigation, s’est soudainement arrêté de fonctionner… Heureusement il a son ordi fixe (tropicalisé, lui) mais là ce sont les couleurs qui sont impossibles à régler.

Et il commence à faire une chaleur de bête, probablement à cause de la proximité de l'Equateur. Et le vent tombe. Et la navigation devient pas facile : après trop peu de vent et une chaleur poisseuse infernale, on a pris un ris pour la nuit, ça tombait bien, le vent a forci. Alors on recommence, surtout moi, à se cogner partout, à avancer en titubant pour finir sa course soudain accélérée par un mouvement intempestif de Bluenote sur un coin de meuble. Et ça n'a plus cessé jusqu'à l'arrivée !

Eh oui, je vous parlais de conflit de vents dans la ZIC, or si conflit il y a, c'est synonyme de problèmes pour le navigateur... J'aurais dû m'en douter. Mais dans l'esprit de nombreux circumnavigateurs débutants -comme moi- il y a l'idée -sotte- de l'absence de vent, sous le prétexte -idiot- qu'on a quitté le régime des alizés.

Vous l'aurez compris, j'avais tout faux. A part le début, ce fut une navigation musclée, bruyante, fatigante, mouvementée, au sens propre. Donc rapide, voilà bien le seul agrément qu'elle eut.
Pendant 5 jours sur les 6 de navigation, nous avons eu, en allant crescendo, entre 25 et 45 nœuds de vent par le travers, dans une mer courte et désordonnée, avec des creux de 4 à 5 mètres. Tu parles d’une ZIC : ça oui, ça converge dans tous les sens.

Ça donne ça comme ambiance à bord : ça bouge, ça mouille, tout le bateau suinte de sel, éclaboussures d'eau de mer, quand ce ne sont pas des paquets d'eau de mer, inondent le cockpit, voire le carré car il est hors de question de fermer la porte entre cockpit et carré sinon nous mourrions d'asphyxie avec 35° et 85% d'hygrométrie à l'intérieur. Il y a même des vagues qui recouvrent tout, roof et bimini, et finissent de s’écouler sur les vitres du carré, de l’autre côté.
Tout ça dans un bruit d’enfer, tout qui valdingue, tout qui colle, je déteste ça ! Bruit de folie dans le bateau. Tout claque, pète, remue, chahute. L’eau n’en finit plus de glisser contre les coques dans un gargouillis incessant ponctué de brutaux à-coups secs.

Le 8 février à 12h30, on a franchi la ligne de l’Équateur :



Impossible de boire un verre car on n’y a pas le cœur ou plutôt les tripes, impossible de se déguiser comme on l’avait prévu pour faire des photos sympas - et des souvenirs de ce moment mythique - ça bouge beaucoup trop et on n’y a pas l’âme.
J'ai quand même concocté un bon repas : guacamole sur tranche de tomate servi dans une assiette creuse car impossible de s’installer pour bon apéro festif, vu les mouvements brutaux du bateau. Alors on se cale comme on peut dans un coin du cockpit pour manger sa « gamelle » avec un peu d’air : Alain et moi côte à côte sur la banquette contre le rouf et Georgio à genoux devant la table sur laquelle il a posé son « écuelle » !
Puis tataki de thon càd du thon cuit "tourne-retourne" avec riz +oignons et ail.

Et il va falloir nous faire tatouer, c'est la coutume des marins qui franchissent LA ligne. Ce blog recueillera vos idées : soumettez-nous vos dessins de peau, nous en choisirons un !

Au petit matin du samedi 11 Février, le calme est revenu peu à peu pendant notre dernière nuit et  "This is the end..(petites notes de guitare qui s'égrènent dans l'aube, les Doors). A 8h on aperçoit la côte de Guyane. Rapidement se profilent les îlots qui balisent l’entrée du chenal que nous empruntons pour aller dans notre marina, à Degrad des Cannes. "La mère". "Les 2 mamelles". Nous les laisserons à bâbord. "Le père" sera sur notre tribord. Loin sur le tribord, "L'enfant malingre". Et "L'enfant perdu". Parfois les cartes ça fait flipper..
Bienvenue en France pour le choix des appellations.

C’est la fin du voyage pour moi, la fin de cette aventure maritime, océanique. Je voulais connaître cette façon de naviguer, d’être en bateau, de naviguer sur une longue distance. C’est fait. Ça me fait penser à ma remontée du Grand Canyon il y a très longtemps dont la pénibilité avait pourtant été atténuée par la consommation de substances illicites qu'avait partagées avec nous notre compagnon de route. Et qui m'avait fait dire à l'arrivée : " c’est fait, c’est plus à faire ! ". Mais que de bons souvenirs engrangés alors comme pendant cette traversée !

What else ??!! à suivre, stay tuned.
Alexandra de retour à Sète.