Écrire : essayer
méticuleusement de retenir quelque chose.
Arracher quelques bribes précises au vide qui se creuse,
laisser, quelque part, un sillon, une trace, une marque ou quelques signes.
Georges Perec
Qu'ai-je retenu de cette
expérience extra-ordinaire que j'ai vécue, grâce à Georges, à bord de Bluenote
?
J'ai pris beaucoup de notes,
j'ai tenté par mes post sur le blog de vous en faire partager quelques bribes.
Mon fichier de photos déborde.
Mon corps, ma peau, gardent
en mémoire " la mer, la mer,
toujours recommencée ! ". Et le bateau qui court sur les vagues, qui
ne demande qu'à courir. Sûr de lui et rassurant pour son équipage. Et le vent,
le sel, le soleil, la nuit noire autant que l'éclat d'une journée écrasante de
lumière, les variations de températures selon les latitudes. Et la mer, la mer,
à perte de vue, qui nous porte, nous transporte, nous nourrit, nous émerveille
ou nous impressionne, la mer qui glisse le long des coques ou s'y fracasse, la
mer, verte, bleue, grise, marron, la mer, tapis scintillant ou noir velours, la
mer qui nous entoure, nous borde, qui nous cerne ou nous embrasse, selon ses
humeurs.
Ces sensations m'ont été sans
discontinuer prodiguées par la nature. Les escales étaient à ce titre
bienvenues : on faisait relâche dans les ports comme dans nos corps.
Et puis il y a les faits
objectifs : les pays visités, les personnes connues ou inconnues rencontrées, les
méridiens et parallèles - dont le Tropique du Capricorne et le méridien de
Greenwich - franchis chaque jour jusqu'à l'équateur pour passer d'un hémisphère
à l'autre. Autant de lignes tracées par l'homme pour se créer des repères sur
la mer.
Et à l'arrivée :
Alors avant de passer la
parole aux équipiers suivants sur de nouvelles routes, voici d'autres bribes de
souvenirs du bord, miscellanées heureuses :
- Le pain de Georges qui après avoir
chatouillé délicieusement nos narines régale nos papilles, tous les jours :
- voir le soleil se lever :
- éteindre
les feux de route quand le soleil pointe sur l'horizon :
- la pêche
Mais ça vous le savez déjà,
alors pour le plaisir en voici encore quelques instantanés : là c'est un
barracuda
- hisser le pavillon Q, soit le pavillon jaune.
Car c’est le signe qu’on va
"atterrir".
C’est aussi dans l’alphabet
maritime la lettre Q pour Quarantine (english).
Quand on arrive dans un pays,
on doit hisser le pavillon du pays, appelé pavillon de courtoisie, et le
pavillon Q pour signaler aux autorités qu’on attend les instructions et/ou
autorisations pour descendre à terre.
- la douche au
seau dans la jupe : j'ai inauguré
cette façon de prendre sa douche (puis l'ai conseillée discrètement aux
équipiers.. pour une meilleure entente
entre nous car la proximité est grande à bord d’une surface réduite !)
On s’installe dans la jupe
avec un seau (amarré) et on "puise" de l’eau de mer.
On s’asperge avec, à volonté,
l’eau est inépuisable, on se savonne, on se rince, et on fait un court rinçage
à l’eau douce grâce à la douchette installée dans la jupe. C'est un régal, un
plaisir immense :
- A terre ! Alain,
Winchy et Alexandra dans la Chevrolet
sur les routes de Saint-Helena, avec Winchy qui en profite pour faire un selfie :
- la photo
la plus étrange car prise en format panoramique mais quand le bateau bouge
beaucoup :
quand je vous disais que la mer était
agitée...
- LE tattoo
Résultat du concours de notre
Tattoo pour le passage de LA ligne :
nous avons choisi celui proposé par Winchy, revisité à ma demande par Marthe :
NDR : torse non contractuel.
- 4.700 MN
pour naviguer de la ville du
Cap, en Afrique du Sud à Cayenne, en Guyane.
conversion rapide des MN en
kms : on multiplie par 2 et on retranche 10%,
soit = (4.700 x 2) – 10% =
8.460 kms (environ)
- Un incident scientifique dû à Coriolis
Si vous avez bien suivi, nous
sommes donc passés de l’hémisphère Sud à celui du Nord. Ce qui m’amène à une
observation scientifique essentielle :
Ce savant a découvert une
force qui fait s’inverser le sens de l’écoulement de l’eau dans un siphon,
avais-je lu. Siphon d’évier s’entend pour moi, cook à bord. C’est une approche
plus pragmatique que scientifique de la force de Coriolis, j’en conviens, mais
Google n’étant pas dispo en navigation, je m’en
tins à ce seul aspect.
Après en avoir vérifié la
véracité dans l’hémisphère Sud, j’ai suivi degré par degré notre progression
pour ne pas rater le moment où, dans mon évier (qui est un peu mon objet
fétiche, voire mon objet transitionnel à bord tant je le bichonne et lui confie
au fil des repas le soin de me rassurer) l’écoulement de l’eau passerait du
sens inverse des aiguilles d’une montre au sens opposé. En effet, sous mes yeux
médusés (notez l'à-propos de la métaphore) le sens d'écoulement de mon eau de
vaisselle a un jour changé de sens. Petit moment solitaire de gloire avec la
sensation que le carré de Bluenote est devenu un haut lieu d'expérimentations
scientifiques, à l'insu de Georges et Alain qui se reposent au moment de ma
découverte.
Eh bien c'est faux !! Grosse
déception.. tout ce que j'ai écrit ci-dessus est bien le fruit de mon expérience
mais ce jour-là, c'était juste un hasard. Google me l'a expliqué : que ce soit
dans l'hémisphère nord, l'hémisphère sud ou à l'équateur, l'écoulement de l'eau
dans le lavabo peut autant se produire vers la gauche que vers la droite !
Il ne me fallait pas lire siphon mais typhon...
Un tourbillon dans l’évier
est plus sensible aux forces de frottement dues aux aspérités du lavabo qu’à la
force de Coriolis, contrairement aux cyclones et typhons (même chose) où Coriolis joue un rôle important.
Pour moi, encore une
certitude qui se délite, c'est le cas de le dire !
- Rencontre en mer :
« Sailing boat on my port side, sailing boat on my port side »
à la VHF.
L’appel est plusieurs fois
répété, nous sommes tous sur le pont en manœuvre.
Georges finit par pouvoir
répondre. Un pétrolier de 183
m, l’Evros nous indiqua l’A.I.S. longeait notre tribord,
son capitaine voulait tailler une bavette avec nous. Il a d’abord demandé qui
on était, puis si on avait besoin de quelque chose, enfin d'où on venait, où on
allait etc… Super sympa. Georges lui a même demandé s’il faisait la course avec
nous ! Et il voulait savoir si on allait naviguer vers la France,
peut-être parce qu’il avait la nostalgie de son pays, et que "chez
nous", nous baignons dans la même mer, il était grec.
- Éloge de la lenteur, last but not least :
En guise de souhaits pour ma
grande traversée, les mots de Baudelaire résonnaient en moi :
"Il est l'heure de
s'enivrer !
Pour n'être pas les esclaves martyrisés du Temps,
enivrez-vous ;
enivrez-vous sans cesse !
De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise."
Mes vœux ont été exaucés.
Mais c'est le Temps qui est en l'élément majeur : l'essence même du voyage en
bateau, a fortiori lors d'une grande traversée,
c'est la pratique de la
lenteur. Et le plaisir qui en découle. La lenteur nous permet d'échapper au
rythme effréné de nos vies de terriens et nous rappelle le nécessaire
ralentissement à leur imposer.
Au lieu de la recherche compulsive
d'intensité, sinon on croit qu'on va dépérir comme
une plante qui manque d'eau, on retrouve, soulagé, la simplicité dans un monde
devenu de plus en plus complexe, une consommation adaptée aux éléments qui nous
entourent et un moyen de locomotion qui ne dépend que d'eux.
Conclusion :
- " Alors c'était
comment, t'as aimé ? "
- " OUI. C'était SUPER !
"
Même si " le voilier est
de loin le moyen le plus lent, le plus inconfortable et le
plus humide pour quitter un endroit où l’on se trouve particulièrement bien et
rejoindre un endroit - pas forcément prévu - où l’on n’a rien à faire "
comme aiment à le décrire les voileux.
Je peux maintenant retourner
à ma peinture après cette exceptionnelle aventure océanique et demeure dans le
mouvement parce que "L'art est ce
qui aide à tirer de l'inertie" (Henri Michaux).
Mais j'ai découvert que
naviguer c'est aussi un art et Georges le pratique avec talent.