Bonjour à tous,
Voici enfin le récit de notre traversée vers la
Guyane :
Alain et moi, mais pas Georges qui est un marin d'expérience,
craignions pour cette traversée l'un des
cauchemars du marin : être encalminé = immobilisé par l'absence de vent. Car
nous allions traverser la célèbre Z.I.C : la Zone Intertropicale de
Convergence.
Une zone créée par les anticyclones Nord et Sud,
celui des Açores et celui de Sainte-Hélène. Pour faire court : quand on navigue
sur le dos des anticyclones, on est
porté, emporté, par eux. C'est le régime des alizés, "normalement" confortable. (Notez le "normalement"
entre guillemets car ça n'est pas toujours le cas.. La lecture de ce blog a dû vous le laisser
entendre.)
Entre les deux, c'est la Z.I.C. = une zone de
conflit car de ces 2 anticyclones partent des masses d'air qui convergent en
s'opposant.
A part cette légère appréhension au sujet de la
Z.I.C. pour 2 d'entre nous, nous partions heureux, équipage réduit à 3 du fait
du départ de Winchy. Légumes et fruits envahissaient cockpit et carré, la
perspective de festin grâce à eux réjouissait nos papilles, nos cales
débordaient de boissons désaltérantes (!), nous étions fin prêts pour le départ
:
La poissonnerie
était rouverte :
La croisière redémarrait, s'amuserait-elle encore
?
Les premières 24h, nous sommes contents, nous
marchons bien : une moyenne de 10 nœuds. L’usine de poissons s'est remise
en route avec la pêche d'un petit thon. Je fais un tartare et nous nous
installons pour notre partie de cartes. Il est 18h quand nous pensons à
l’interrompre pour ranger le spi. A ce moment-là on entend un claquement sec et
je vois par le hublot une bande de spi comme je ne l’ai jamais vue. Georges
s’est déjà précipité dehors. Et constate. Le spi s’est déchiré en deux… A la
hauteur de son 1er tiers. Une partie reste sur la drisse, l’autre
est à l’eau et a tout de suite stoppé net le bateau. Mais on a tout récupéré,
rien perdu. Demain on verra si on peut réparer.
Bonne nuit avec des quarts de 3h1/2 cette fois-ci
car nous ne sommes plus que 3. Winchy manque aussi pour ça ! Une veille attentive
tous les ¼ d’h est nécessaire du fait que nous longeons la côte et qu’il y a
des pêcheurs qui peuvent s’aventurer à plus de 10 MN de leurs côtes et… sans
lumières ! Et nous croisons beaucoup de cargos dans cette zone.
La demie pleine lune s’est levée tôt, sa forte
luminosité empêche de contempler le ciel étoilé mais éclaire chaque crête de
vagues. Bluenote glisse alors sur un tapis argenté.
Le lendemain matin, l’ordi portable de Georges,
qui sert à la navigation, s’est soudainement arrêté de fonctionner… Heureusement
il a son ordi fixe (tropicalisé, lui) mais là ce sont les couleurs qui sont
impossibles à régler.
Et il commence à faire une chaleur de bête,
probablement à cause de la proximité de l'Equateur. Et le vent tombe. Et la
navigation devient pas facile : après trop peu de vent et une chaleur poisseuse
infernale, on a pris un ris pour la nuit, ça tombait bien, le vent a forci.
Alors on recommence, surtout moi, à se cogner partout, à avancer en titubant
pour finir sa course soudain accélérée par un mouvement intempestif de Bluenote
sur un coin de meuble. Et ça n'a plus cessé jusqu'à l'arrivée !
Eh oui, je vous parlais de conflit de vents dans
la ZIC, or si conflit il y a, c'est synonyme de problèmes pour le navigateur...
J'aurais dû m'en douter. Mais dans l'esprit de nombreux circumnavigateurs
débutants -comme moi- il y a l'idée -sotte- de l'absence de vent, sous le
prétexte -idiot- qu'on a quitté le régime des alizés.
Vous l'aurez compris, j'avais tout faux. A part
le début, ce fut une navigation musclée, bruyante, fatigante, mouvementée, au
sens propre. Donc rapide, voilà bien le seul agrément qu'elle eut.
Pendant 5 jours sur les 6 de navigation, nous
avons eu, en allant crescendo, entre 25 et 45 nœuds de vent par le travers,
dans une mer courte et désordonnée, avec des creux de 4 à 5 mètres. Tu parles d’une
ZIC : ça oui, ça converge dans tous les sens.
Ça donne ça comme ambiance à bord : ça bouge, ça
mouille, tout le bateau suinte de sel, éclaboussures d'eau de mer, quand ce ne
sont pas des paquets d'eau de mer, inondent le cockpit, voire le carré car il
est hors de question de fermer la porte entre cockpit et carré sinon nous
mourrions d'asphyxie avec 35° et 85% d'hygrométrie à l'intérieur. Il y a même
des vagues qui recouvrent tout, roof et bimini, et finissent de s’écouler sur les vitres du
carré, de l’autre côté.
Tout ça dans un bruit d’enfer, tout qui
valdingue, tout qui colle, je déteste ça ! Bruit de folie dans le bateau.
Tout claque, pète, remue, chahute. L’eau n’en finit plus de glisser contre les
coques dans un gargouillis incessant ponctué de brutaux à-coups secs.
Le 8 février à 12h30, on a franchi la ligne de l’Équateur :
Impossible de boire un verre car on n’y a pas le
cœur ou plutôt les tripes, impossible de se déguiser comme on l’avait prévu
pour faire des photos sympas - et des souvenirs de ce moment mythique - ça bouge
beaucoup trop et on n’y a pas l’âme.
J'ai quand même concocté un bon repas : guacamole
sur tranche de tomate servi dans une assiette creuse car impossible de s’installer
pour bon apéro festif, vu les mouvements brutaux du bateau. Alors on se cale
comme on peut dans un coin du cockpit pour manger sa « gamelle » avec
un peu d’air : Alain et moi côte à côte sur la banquette contre le rouf et
Georgio à genoux devant la table sur laquelle il a posé son
« écuelle » !
Puis tataki de thon càd du thon cuit
"tourne-retourne" avec riz +oignons et ail.
Et il va falloir nous faire tatouer, c'est la
coutume des marins qui franchissent LA ligne. Ce blog recueillera vos idées :
soumettez-nous vos dessins de peau,
nous en choisirons un !
Au petit matin du samedi 11 Février, le calme est
revenu peu à peu pendant notre dernière nuit et
"This is the end.." (petites
notes de guitare qui s'égrènent dans l'aube, les Doors). A 8h on aperçoit la
côte de Guyane. Rapidement se profilent les îlots qui balisent l’entrée du
chenal que nous empruntons pour aller dans notre marina, à Degrad des Cannes. "La
mère". "Les 2 mamelles". Nous les laisserons à bâbord. "Le
père" sera sur notre tribord. Loin sur le tribord, "L'enfant
malingre". Et "L'enfant perdu". Parfois les cartes ça fait
flipper..
Bienvenue en France pour le choix des appellations.
C’est la fin du voyage pour moi, la fin de cette
aventure maritime, océanique. Je voulais connaître cette façon de naviguer,
d’être en bateau, de naviguer sur une longue distance. C’est fait. Ça me fait
penser à ma remontée du Grand Canyon il y a très longtemps dont la
pénibilité avait pourtant été atténuée par la consommation de substances
illicites qu'avait partagées avec nous notre compagnon de route. Et qui m'avait fait dire
à l'arrivée : " c’est fait, c’est plus à faire ! ".
Mais que de bons souvenirs engrangés alors comme pendant cette traversée !
What else ??!! à suivre, stay tuned.
Alexandra de retour à Sète.
Très beau récit, merci, on a l'impression de l'avoir vécu avec vous :)
RépondreSupprimerMerci Jean ! Bises.
SupprimerMerci Drouchka pour ce beau récit !
RépondreSupprimerC'est tellement agréable de lire chacun de vous avec son style, ses sensations personnelles et pourtant, un récit si vivant !
Comme ton cousin Jean, j'ai l'impression d'avoir voyagé avec vous !
Merci pour ce beau partage !
Où est captain Georgio en ce moment ?
Biz de ta cousine Vannina