"
Qu’est-ce que je suis venu faire dans
cette galère ? " se demande Jean-Pierre..
Nombreux
équipiers, emportés par l’enthousiasme mais surtout le rêve, ont pu se faire
cette réflexion. A commencer par moi (Alexandra) alors que nous débutions notre
périple sur Matiti. Et ce périple dura malgré tout 7 ans !
Voyons
ce qui a suscité la réflexion de Jean-Pierre à l’aube de ce 18 août, 3ème jour de
traversée de l’Indien :
Deuxième quart de nuit : le dos du monstre
Jeudi 18 août – 3h27 : Je
ne dors plus depuis minuit et demi-une heure, éprouvant, dans ma couchette à
l’arrière du flotteur bâbord, la grande solitude de l’équipier débutant. A
l’évidence le vent vient de forcir, creusant la houle ; Bluenote a pris de la
vitesse dans une course chahutée. Les vagues claquent contre les étraves, se
brisant parfois au-dessus des flotteurs.
Je tourne et retourne dans ma couchette, tentant de me caler dans la position
la moins inconfortable et de trouver, dans le demi-sommeil, de quoi évacuer les
idées récurrentes, peu positives. Parmi elles, celle-ci : qu’est-ce que je suis
venu faire dans cette galère ? Avais-je besoin de me prouver à moi-même que
j’étais capable de traverser un grand océan, l’Indien en l’occurrence ?
Avais-je besoin de laisser une femme à ses angoisses pour un rêve de gosse et
un petit orgueil d’adulte ?
Tant que nous étions accrochés aux marinas de Bali, tout allait bien mais là,
maintenant, sur le dos du monstre, dans cette lessiveuse en plein essorage
qu’est devenue ma cabine, seul dans la nuit, un sentiment de vulnérabilité me
taraude : et si nous cassions quelque chose, si nous étions obligés
d’abandonner Bluenote, là, au milieu de nulle part ? Les vagues claquent, le
bateau s’agite, les étraves tapent dans la houle comme au passage d’improbables
aiguillages, le vent siffle dans les drisses, je gamberge, bêtement,
irrationnellement.
Nulle part, c’est à 370 milles de la pointe sud de Bali, notre point de départ,
plus de 100 milles des côtes de Java, une vingtaine d’heures de navigation des
Christmas, l’archipel australien vers lequel nous nous dirigeons et qui marque
la moitié de la route entre l’Indonésie et Coco-Keeling, notre prochaine escale.
Nulle part, c’est une immensité liquide, déserte ou à peu près. Hier, nous
n’avons croisé la route que de deux bateaux : un pêcheur en début de matinée et
un petit cargo, loin très loin de nous par tribord en fin de journée. La vie
qui peuple cet immense océan, ne se manifeste pas plus. Rien, en dehors
d’escadrilles de poissons volants qui décollent d’une vague avant d’atterrir
dans la suivante. Tout à l’heure, nous avons eu une alerte sur la ligne de
pêche bâbord. Captain Georgio s’est précipité, un bras de force a débuté avec
l’animal marin attiré par le « rapala ». A plusieurs reprises nous l’avons vu
bondir au-dessus de la crête des vagues, forme oblongue faisant penser à un
thon, puis plus rien. La ligne s’est détendue, le poisson n’était plus là.
L’heure de la prise de quart m’a opportunément sorti de ce remue-méninge
malsain. J’ai rejoint le carré, vide ; le pont arrière, tout aussi vide. « Ah,
t’es là. Souque le bout du deuxième ris ». C’est Captain Georgio quillé sur le
toit du roof, au pied de la baume et du mât. Il a passé son harnais de sécurité
: « la situation doit donc être sérieuse », je me dis. « Je ramène un peu de
toile pour être plus confort. C’est la nuit et il faut dormir », me crie-t-il
dans le vent qui se déchaîne. Un peu d’acrobatie pour une question de confort :
il faut que je m’y fasse, moi qui hésite à sortir mon kayak sur l’étang de Thau
les jours de petite tramontane. Je passe au winch le bout bleu du deuxième ris,
aide Georgio à ramener la toile. Le vent apparent qui était monté à plus de
vingt-cinq nœuds, retombe sous les vingt. Captain Georgio est parti se coucher.
(...) 5h10. Le vent reste fort. Malgré les deux ris de la grand-voile, Bluenote
pulse dans la houle à plus de treize nœuds. A deux reprises j’ai aperçu des
feux à tribord. Probablement ceux de navires en pêche mais là, soudain, c’est
droit devant que deux lumières orangées trouent la nuit. Le foc me les masque
régulièrement et régulièrement elles reviennent légèrement sur bâbord mais dans
l’axe de Bluenote. Telle que la voilure est établie, il est difficile de
remonter au vent. Ce ne serait d’ailleurs pas judicieux, le pêcheur -car il
s’agit bien d’un pêcheur- étant légèrement sur bâbord. D’autant moins judicieux
que je viens d’apercevoir, toujours à bâbord mais beaucoup plus près de nous,
un fanal vert à éclats : probablement le bout d’un engin de pêche, palangre ou
filet dérivant, sur lequel une manœuvre intempestive aurait pu nous précipiter.
J’abats donc de deux degrés puis je m’en vais réveiller Captain Georgio. C’est
la consigne lorsqu’on est en route de collision : le réveiller.
A deux nous apprécions la situation. Nous venons de passer le fanal vert. En dehors du pêcheur, aucune autre lumière. La correction de deux degrés à fait s’écarter les routes des deux bateaux. Nous laissons à un demi-mille le pêcheur dont nous voyons l’étrave se balancer dans la houle. Captain Georgio va se recoucher.
A deux nous apprécions la situation. Nous venons de passer le fanal vert. En dehors du pêcheur, aucune autre lumière. La correction de deux degrés à fait s’écarter les routes des deux bateaux. Nous laissons à un demi-mille le pêcheur dont nous voyons l’étrave se balancer dans la houle. Captain Georgio va se recoucher.
(...) 6h20. La Lune est sur le point de disparaître à l’occident. L’orient se
colore de feu derrière de gigantesques masses nuageuses bleutées. Aujourd'hui,
le jour se lève plus tard qu’hier, conséquence de notre déplacement vers
l’ouest.
Fin du deuxième quart de nuit.
Jean Pierre tu es un vrai marin maintenant.
RépondreSupprimerBelle plume !la sensibilité, la simplicité et l'authenticité du texte m'ont embarqué à bord du Blue Note et j'ai partagé avec vous ce tumultueux deuxième quart de nuit, bon vent à ces trois Mousquetaires de l'Indien ... et à très vite !
RépondreSupprimerCatherine