Voici le 5ème et
dernier récit de Jean-Pierre, pour cette 1ère partie de leur
traversée de l’Indien. Il s’intitule "à quelques brasses du paradis ".
Pourtant dans cet archipel, il
fut un temps où l’un des petits îlots de ce paradis fut une prison dont il
ne reste aujourd’hui que le nom : Prison Island. Sa photo ne l’évoque pas !
" Cinquième quart de nuit : à quelques brasses du
paradis
Dimanche 21 août. 3h13 – Je ne sais si je
pourrais aller jusqu’au bout de ces quelques lignes quotidiennes. Je suis dans
le carré, à la table des cartes, contrairement aux nuits précédentes où je
m’installais sur le pont arrière en plein air. Depuis une trentaine d’heures,
le vent de sud-est qui pousse Bluenote depuis notre départ, s’est notablement
renforcé mais cette nuit, à l’approche des côtes de Coco-Keeling qui ne sont
maintenant qu’à 54 milles, il a encore forci avec des pointes à plus de 35
nœuds. Lors du quart précédent, Captain Georgio a une nouvelle fois réduit la
voilure, enroulant le foc qui n’a plus au vent qu’un petit tiers de sa surface.
Les trois ris de la grand-voile avec lesquels nous avons navigué toute la
journée d’hier, ont été maintenus bien sûr.
Malgré-ce, le claquement des vagues sur la carène est impressionnant. On dirait que toute l’artillerie australienne de Coco-Keeling se déchaîne sur nous ! Leur puissance est telle qu’elles passent régulièrement sur l’étrave du flotteur bâbord, fouettent le roof ou s’abattent sur le pont arrière.
Malgré-ce, le claquement des vagues sur la carène est impressionnant. On dirait que toute l’artillerie australienne de Coco-Keeling se déchaîne sur nous ! Leur puissance est telle qu’elles passent régulièrement sur l’étrave du flotteur bâbord, fouettent le roof ou s’abattent sur le pont arrière.
Autant dire qu’avec de telles
conditions, je n’ai quasiment pas dormi. Dans ma couchette installée à
l’arrière du flotteur bâbord, enfermé dans ce cigare de résine et de carbone
d’un mètre soixante sur trois mètres soixante-dix dans ses plus grandes
dimensions, on a l’impression d’avoir embarqué pour un tour de montagne russe
qui n’en finit pas. A cette différence près qu’il est impossible, ici,
d’anticiper le mouvement. Roulis, tangage... On a droit à tout sur cet océan où
les méchantes vagues nées dans les tempêtes australes, croisent la grande houle
de sud-est qui remonte vers l’équateur.
Étrange sensation de se
retrouver quelques fractions de seconde en état d’apesanteur quand Bluenote se
cabre brusquement pour franchir une déferlante et quand il pique du nez vers le
creux de la vague.
Dans cet espace confiné, étendu sur le lit placé à quelques centimètres de la ligne de flottaison, la clarté lunaire qui entre par l’un des trois hublots, travaille l’imagination dans tous ses recoins.
Dans cet espace confiné, étendu sur le lit placé à quelques centimètres de la ligne de flottaison, la clarté lunaire qui entre par l’un des trois hublots, travaille l’imagination dans tous ses recoins.
Tout autant que le mouvement,
le bruit contribue à mes insomnies. Le plus violent est celui, soudain, de la
vague qui tape sous le pont jusqu’à faire vibrer Bluenote dans toutes ses
structures. Mais il y a aussi le bruit permanent des flots qui s’écoulent le
long de l’étrave, bruit de chasse et de gargouillement. Il y a encore le
sifflement du vent dans les cordages et sur les flancs du navire. Le coup de
fouet des vagues sur le roof ou sur le pont arrière.
Les déplacements à bord ne se
font qu’avec précaution, ramassé sur son centre de gravité, l’œil toujours à la
recherche d’un point où l’on pourra s’agripper où se rattraper, avec parfois,
une petite supplication qui parvient du fond de l’estomac. Je ne parle pas ici
de mal de mer auquel je n’ai pas été sujet mais d’une plainte, une légère
plainte que l’on apaise dans le grand air.
« Et encore, ici c’est le grand confort », m’a fait remarquer Alain alors que nous étions occupés à déjeuner et à deviser gentiment hier sur le pont arrière face à un spectacle dantesque. « Si nous étions sur un monocoque, j’te dis pas ». Alain est un habitué de la Méditerranée et de ses sautes d’humeur. Nous reprenons notre conversation autour de considérations sétoises tandis que l’Indien se déchaîne en faisant rouler ses vagues vers ce trio incongru qui ne lui prête pas l’attention due à son rang. Scène surréaliste que seules les qualités intrinsèques de Bluenote rendent possible. Je l’ai déjà dit plus haut, ce bateau est taillé pour les longues courses dans le grand vent, à condition d’avoir à bord un capitaine de sa trempe. Et Giorgio en est un.
« Et encore, ici c’est le grand confort », m’a fait remarquer Alain alors que nous étions occupés à déjeuner et à deviser gentiment hier sur le pont arrière face à un spectacle dantesque. « Si nous étions sur un monocoque, j’te dis pas ». Alain est un habitué de la Méditerranée et de ses sautes d’humeur. Nous reprenons notre conversation autour de considérations sétoises tandis que l’Indien se déchaîne en faisant rouler ses vagues vers ce trio incongru qui ne lui prête pas l’attention due à son rang. Scène surréaliste que seules les qualités intrinsèques de Bluenote rendent possible. Je l’ai déjà dit plus haut, ce bateau est taillé pour les longues courses dans le grand vent, à condition d’avoir à bord un capitaine de sa trempe. Et Giorgio en est un.
(...) 4h45 - Finalement, je crois bien que j’arriverai encore une fois au
bout de mon pensum quotidien. Les îles Coco-Keeling approchent. Nous ne sommes
plus qu’à 41 milles de notre point d’inflexion à partir duquel nous virerons à
bâbord pour entrer dans le lagon. Nous devrions y être vers 9h. J’ai le
sentiment d’être comme le pilote d’un vol de nuit à côté des instruments de
navigation. Pour un bon atterrissage au point d’inflexion il faut faire en
sorte que la route réelle de Bluenote rejoigne la route théorique. La première
est légèrement plus au nord avec moins d’un mille d’écart. J’ai corrigé le
pilote automatique de deux degrés depuis ma prise de quart. En sortant pour
rejoindre la barre, j’ai été copieusement arrosé. A cette heure de la nuit, ça
réveille !
(...) 10h20 – L’ancre est enfin solidement arrimée dans le sable
corallien du petit lagon réservé à la « quarantaine » des navires de plaisance,
à l’entrée de l’archipel de Coco-Keeling.
Après une nuit tourmentée,
nous voilà au « paradis ». Je mets le mot entre guillemets car je ne crois pas
trop au paradis sur terre. Il faut convenir tout de même que ce groupe d’îles
propriété de l’Australie a tout pour ressembler à ce que les magazines nous
présentent comme des paradis terrestres à coups de grandes quadrichromies sur
papier glacé. D’abord nous avons mis du temps à apercevoir, devant nous, au
milieu de l’océan furibard, cette terre promise à l’équipage de Bluenote. A
Coco-Keeling, l’altitude moyenne ne doit pas dépasser les deux ou trois mètres,
peut-être moins, ce qui, comme les Maldives, les Seychelles ou le Vanuatu, en
fait l’un des endroits du monde les plus exposés au réchauffement climatique et
à la montée des eaux.
Après avoir croisé la route
d’un ketch qui faisait route, lui aussi, vers l’archipel, celui-ci a finalement
pris forme : des îlots de sable blanc éloignés les uns des autres parfois de
plus d'un mille ; ils sont couverts de cocotiers et ceinturent un vaste lagon
aux eaux déclinant toute la gamme des bleus, du plus pur, du plus transparent,
jusqu’au plus sombre aux irisations violines, en passant par l’émeraude. Un
camaïeu incroyable sous une lumière d’une rare intensité. Les couleurs qui
doivent varier en fonction de la profondeur et de la nature des fonds (sable
blanc, récif corallien), se succèdent en de larges tâches parfaitement
délimitées... Et rien, là, n'a été retouché par photoshop !
A peine accroché à notre
mouillage, le comité d’accueil est arrivé : cinq petits requins pointes noires,
sont venus virevolter autour de Bluenote dans la transparence de l’eau.
Après les requins, les
militaires. Les garde-côtes de la marine australienne en tenue noire de
"robocop", arrivés à bord d'une vedette depuis un bâtiment stationné
à la pointe de la passe, sont montés à bord, pour un contrôle rapide des
passeports, des visas et des documents de navigation... La routine. Il nous
reste maintenant à attendre le passage de la police et des douanes. Ou plutôt
du seul policier de l’île qui doit faire aussi office de douanier. Aujourd'hui,
dimanche, il ne travaille pas. Il viendra nous voir demain.
En attendant : interdiction
de débarquer. Les cocotiers sont là, à quelques brasses, ployant sous le
puissant alizé qui fracasse l’océan sur la barrière de corail mais il nous faut
patienter, ronger notre frein, tuer le temps. Pour ce qui est de se baigner,
j'attendrai d'avoir fait copain-copain avec les « pointes noires ».
Stay tuned, Bluenote devrait
reprendre la mer dimanche si la météo est favorable.
Alexandra, dans un Paris
toujours aussi brûlant mais sans la mer et les cocotiers !
Voici une vidéo tournée par des plaisanciers à Cocos Keeling, ils y sont restés quelques semaines en mai 2015, donnent quelques idées d'activités. Un vrai paradis apparemment. On y voit notamment les fameux requins à pointe noire qui semblent plutôt inoffensifs.
RépondreSupprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=WjALZ_-kplY
Merci Jean. Grâce à toi, c'est comme si on était là-bas avec eux ! Oui les pointes noires sont inoffensifs, comme beaucoup d'autres requins mais se baigner au milieu d'une ronde de grands poissons est toujours impressionnant.
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