Mercredi
18 janvier, Sainte Hélène
Au matin du 16 janvier, Alain vient me réveiller aux alentours de
cinq heures du matin pour m'annoncer une nouvelle incroyable : il y a du réseau
sur son téléphone... Je me précipite sur le pont comprenant bien que l'île de
Sainte Hélène dont nous ajustons le Cap depuis quelques jours est en vue.
Effectivement, une lourde masse sombre apparaît à l'horizon avec quelques
lumières balisant ses hautes falaises. Eh oui, l'île est là devant nous, sombre
et lugubre dans la pénombre de l'aube, nous allons aller à terre ! Cette
perspective joyeuse est un petit peu altérée par le côté effrayant de ce rocher
sombre sortant de l'océan... Impossible de ne pas se prendre pour Napoléon et
de ressentir la détresse et l'angoisse
qui ont dû l'envahir à la vue de son nouvel exil, lui le grand spécialiste des
îles.
Plus nous nous approchons, plus le jour se lève et plus cette
impression de malaise persiste... l'île est constituée d'immenses falaises
noires et terre de sienne, certaines à moitié noyées dans des nuages de brume,
un cauchemar, une allégorie de l'île du diable, une prouesse des studios Disney
!!!
Nous nous dirigeons vers notre point de mouillage. Nous apparaît
alors une faille dans la roche, comme une porte naturelle pour accéder à cette
île prison protégée de toute part par une muraille infranchissable. Tout au
long de cette faille, se love la ville de Jamestown et déjà nous sentons en
nous toute l'ambiguïté de cet endroit, enfer, paradis ou les deux à la fois ?
mais au milieu de tout cela, la vie humaine ne semble plus avoir
sa place sur cet îlot trop petit, trop isolé de tout, trop difficile d'accès.
NDR :
Une piste d’atterrissage a bien été construite mais les avions ne peuvent y
atterrir, elle n’est pas dans l’axe du vent.. et, non, ça n’est pas une
blague.. impayables ces rosbeefs quand même !
Et le golf n’est peut-être pas très attractif
La nourriture est totalement absente : pas de légumes, pas de
poissons, pas de viande, le centre-ville
ressemble à une grande épicerie de produits importés à destination des quelques
voyageurs de passage. La présence humaine se résume en quelque sorte à un vieux
comptoir britannique de l'époque coloniale, vital à la marine marchande de
l'autre siècle, mais désormais voué à disparaître.. Et c'est bien cela la
vérité de Sainte Hélène : un petit bout de terre perdue au bout du monde,
paradis du végétal, des oiseaux et des poissons mais inhospitalière pour
l'homme car trop petite et trop inaccessible... la prison idéale pour un homme
d'exception qui sauva les idéaux du siècle des lumières et de la révolution
française, qui mit en place les bases de l'administration de notre république mais
qui ne résista pas aux vertiges du pouvoir absolu... Nous y voilà eh eh,
"Napoléon est mort à Sainte Hélène, son fils Léon lui a crevé le bidon
..."
Il y a sans ambiguïté en France un désamour pour ce personnage
historique. La preuve en étant qu'il n'y
a quasiment pas de rue Napoléon en France. Ainsi à Paris, la place de l'étoile
devrait naturellement s'appeler la place Napoléon, elle possède en son centre
l'arc de triomphe célébrant ses victoires, chaque avenue partant de la place a
pour nom soit un maréchal d'empire (Kléber), soit une victoire Napoléonienne
(Wagram) soit directement le nom de son armée "l'avenue de la grande
armée"... ET le centre de tout cela s'appelle l'ETOILE, voire la place
Charles de Gaule !!!!! Étonnant non ? Quelle ingratitude pour un personnage si
important de notre histoire...
Conscient de cela, je découvre à Sainte Hélène que "nos amis
Anglais" pour minimiser son impact historique refuse de l'appeler
Napoléon et le désigne toujours sous le
nom de "général Bonaparte"... Je me
mets à rêver de l'introduction de ce "général Bonaparte" dans
notre roman historique national comme ils disent... Un vrai pied de nez à la
perfide Albion, car général Bonaparte, c'est quand même autrement plus glamour
qu'un empereur bedonnant en redingote verte avec un tricorne improbable sur la
tête.
Il laisse en effet entrevoir le fougueux général révolutionnaire,
le héros du pont d'Arcole, le premier consul si beau dans son costume, le
stratège militaire proche de ses grognards etc.... Enfin quoi, un personnage
historique capable de tenir la dragée haute à des Robespierre, des Danton et
des Desmoulins véritables stars, eux, de ce fameux roman national...
Ces quelques lignes sur NAPO étaient obligatoires, nous sommes à
Sainte Hélène quand même ! Elles ont
aussi pour mission de me réhabiliter auprès d'Alexandra qui m'a trouvé
fort peu ému lors de la visite de la tombe vide et de la prison de Longwood de
son compatriote corse et d'ainsi lui prouver que je respecte bien plus qu'elle
ne le pense son lointain ancêtre et que je revendique même une petite
réhabilitation de notre grand homme.
NDR :
la rédac chef confirme qu’elle a parcouru seule, et émue, les pièces, exiguës
qui se succèdent en une sombre enfilade, de la maison de Longwood, et que les 3
équipiers de Bluenote l’ont traversée un peu vite à son goût. Cette mise au
point sur Napoléon Bonaparte lui met du baume au cœur. Et elle leur servira,
pâté et saucisse corse, dès que l’équipage reprendra la mer pour leur montrer
sa gratitude.
Nous repartons de Sainte Hélène cette fois-ci de jour et via sa
façade Ouest beaucoup plus verte et accueillante...
Nous sommes tout sourire, cette escale à terre nous a enchantés,
il est fort possible que nous ne reviendrons jamais à Sainte Hélène mais elle
gardera une petite place dans notre cœur.
Le mousse qui semble-t-il a chopé le melon à Sainte Hélène, une Stendhalite
aiguë cette fois ci.
PS. Si par le plus grand des hasards, vous deviez un jour vous
rendre à Sainte Hélène, notez bien que la liaison Internet et téléphonique y
est de très très mauvaise qualité. Cela a dû contribuer fortement à la fin du
général Bonaparte qui je l'affirme n'a pas été empoisonné par ces félons de
british mais est bien mort de désespoir face à une telle situation d'isolement
et à l'absence de son breuvage préféré, le Chambertin.
NDR :
Attention, ne dis jamais « Fontaine etc… »
Nous
y reviendrons… peut-être et pour nous y installer !
Nous
avons tout prévu tous les quatre. Georges reviendra à ses amours anciennes, les
voitures de collection. Il remplacera Collin, alias Paul Préboist dont il est le
sosie, notre chauffeur qui, au volant de sa Chevrolet de 1926, nous a fait visiter l’île. Il faut bien gagner sa vie.
Pour les vendre, Alain sculptera des bustes de Napoléon. Et aura charge, pour
nous nourrir, de faire pousser des légumes sur le sol riche de Sainte Hélène
puisque les jeunes de l’île ne veulent plus le faire. Votre rédac chef délaissera
son clavier pour reprendre ses pinceaux. Il lui faudra certes inclure quelques
références napoléoniennes à ses toiles abstraites pour séduire, comme Alain
avec ses sculptures, le touriste en mal de souvenirs. Et Lionel améliorera le
réseau afin que nul autre équipage, en mer comme à terre, ne souffre plus de la
pénurie de communications avec le monde extérieur, ni de leur coût
exorbitant !
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