" Première journée bien tranquille
Samedi 1er Octobre
Un second quart
à l'image de cette journée du samedi 1er octobre : tranquille. Pas trop de mer,
vent modéré, allure modérée du bateau, souvent entre 7 et 9 nœuds. Le vent et
notre allure ont faibli en fin de journée, ce qui nous a fait passer à environ
6 nœuds pour quelques heures, avant que ça ne reparte un peu pour mon quart. Côté
trajectoire, nous avons suivi notre route vers le sud-ouest, à peu près en
direct vers Fort Dauphin, dont nous nous rapprochons à l'allure attendue.
Route suivie un peu
bizarre pour quitter la Réunion, mais pour optimiser
les vents disponibles
Dans
l'après-midi, alerte sur une des lignes de pêche, on se précipite à l'arrière
mais à peine le temps d'essayer de freiner que la ligne casse net… Dans les 10
secondes suivantes, alerte sur l'autre ligne ! On se précipite à nouveau, on la
remonte doucement, mais au bout de quelques instants, elle casse également !
Bilan : en moins d'une minute, on a perdu nos deux lignes de pêche ! Terminé
pour la journée, de toutes façons déjà largement entamée…
Radar qui nous montre le trafic de bateau autour de nous,
assez chargé
à ce moment-là !
Côté trafic
maritime, pas mal de cargos, tankers suivant à peu près la même route que nous,
toujours bien signalés sur le radar, pas d'alerte à signaler même s'il faut
rester vigilant. Il y en avait un qui avait quasiment le même cap que nous qui
est apparu dans l'après-midi derrière nous, mais plus rapide (13 nœuds contre
10) il nous a lentement mais sûrement rattrapés, pour nous dépasser au début de
la nuit, il a donc longtemps constitué un repère visuel dans l'immensité,
jusqu'au début de mon quart.
Le soir, comme
pour le déjeuner, nous nous sommes installés dehors, preuve supplémentaire des
conditions calmes de cette journée de mer. J'ai à peu près conservé un appétit
normal, preuve que tout se passe en douceur jusque là. Je trouve que le temps
passe plutôt vite à bord entre discussions, manœuvres, préparation et nettoyage
des repas, et des périodes de repos assez longues il est vrai. Le bruit de la
mer, les claquements, jouent forcément sur la qualité du sommeil, j'ai
l'impression qu'il faut donc se reposer davantage pour récupérer.
La période la
plus longue, la seule jusque là, est celle du quart, où je me retrouve seul,
pendant que Paul et Georges se reposent, dans l'obscurité. Il faut donc garder
une vigilance suffisante, tout en s'occupant, ou en se reposant (mais pas trop
!). J'écoute de la musique ou des podcasts que je me suis téléchargés à la
Réunion. Durant ce second quart, j'ai plus longuement examiné le ciel sans
Lune, parfaitement étoilé. J'ai reconnu vers l'horizon nord quelques
constellations familières (le Cygne, la Lyre), mais pour le reste, bien aidé
par une application iPhone (StarTracker) j'ai pu découvrir le Scorpion, la
Couronne Australe, Pegase, le Triangle Austral, etc… sur une superbe voie
lactée.
Sur la fin du
quart, comme une nouvelle fois bien prévus par les modèles météo (l'américain
GFS et l'européen CEP), le vent a commencé à se renforcer, le bateau filait
régulièrement autour de 10 nœuds. J'ai juste eu à gérer le croisement d'un
bateau dont la trajectoire est passée relativement proche de la nôtre (3 milles
au plus près, je voyais nettement ses 2 feux), mais cela n'a pas nécessité
d'ajustement de trajectoire. Avec tous les bateaux que nous avons croisés ou
qui suivaient le même cap que nous sur la zone, il ne fait pas de doute que
nous suivions une route maritime, probablement Singapour-Afrique du Sud. Pour
l'anecdote, nous sommes sortis de la zone tropicale peu avant minuit, en
croisant le Tropique du Capricorne, toujours cap à l'ouest/sud-ouest (250°).
Une journée bien agitée
Je me couche peu
après minuit, fin de mon quart, et je me réveille parfois en cours de nuit,
mais ce dimanche 2 octobre au
matin, ce sont les premières lueurs du jour qui m'ont tiré de mon lit, ainsi
que l'impression que le bateau surfait sur l'eau. Je suis sorti retrouver Paul,
qui terminait son quart vers 6h15, j'ai assisté à un agréable lever de soleil
océanique.
Le bateau filait
effectivement à une vitesse encore inconnue lors de cette traversée, souvent
autour de 15 nœuds, pointes à 17-18 nœuds, avec de véritables surfs sur
certaines vagues, très agréables comme sensation. En revanche, la mer claquait
plus fort et cela m'a surpris au début, mais comme pour tout, on a fini par s'y
habituer….
En regardant les
cartes, j'ai eu confirmation que nous avions bien plus avancé que prévu hier
pendant la nuit, on se trouvait à moins de 240 milles de Fort Dauphin, soit 24h
de navigation en gros, ce qui nous permettrait une approche lundi matin !
Durant la matinée, Bluenote a continué à filer à un bon rythme, avec des
pointes à 15 nœuds, nous avons pris un ris pour contrôler un peu l'allure alors
que le vent, comme prévu, ainsi que la mer, se renforçaient sur notre route.
Ce renforcement
s'est confirmé en fin de matinée avec une mer qui avait nettement grossi, les
paquets de mer tapaient contre le plancher de Bluenote de façon toujours plus
fréquente et forte. Le bateau gitait bien et il était difficile de faire autre
chose que de rester allongé… à attendre que les conditions se calment, ce qui
n'était pas prévu avant la nuit prochaine… Dès le repas de midi, un paquet de
mer qui a particulièrement tapé sur le plancher a fait décoller mon verre ! Le
point positif, c'était que je m'étais suffisamment amariné pour déjeuner à peu
près normalement, je ne me sentais pas très bien, mais c'était supportable,
malgré le vacarme et les coups de boutoir.
Inutile de
préciser que dans ces conditions, le repos est assez peu réparateur, on ne peut
pas faire grand chose, et la fatigue s'accumule. C'est éprouvant, bien sûr,
mais aussi fascinant d'être au cœur des forces de la Nature, qui nous entourent
de toutes part. Du côté du vent, rien de vraiment exceptionnel avec du 30-35 nœuds,
parfois quelques pointes à 40, mais ça bougeait beaucoup parce que nous avions
la houle de nord/nord-est de travers, dans notre route obligatoire vers l'Ouest
pour nous rapprocher de Madagascar. Il n'y avait donc rien d'autre à faire que
le dos rond…
Notre position le dimanche après-midi, avec les vents sur
la zone
J'ai essayé de
rester allongé le maximum de temps possible dans l'après-midi pour arriver
aussi en forme que possible pour mon quart de nuit après dîner. Le dîner
lui-même a été encore très agité et mon verre s'est même à nouveau renversé
suite à un gros coup de boutoir. Ce qui est "amusant", c'est qu'il
n'y en a pas eu tant que cela, mais cela ne m'est arrivé qu'à moi, midi comme
soir ! J'ai dîné léger et ai enchaîné sur mon quart, heureusement assez
tranquille, pas de bateaux en vue car cette route qui bifurquait davantage vers
l'Ouest nous avait manifestement bien écarté de la route des cargos, il fallait
néanmoins rester vigilant à l'évolution du vent, qui pouvait encore légèrement
se renforcer selon les modèles météo du départ, deux jours et demi plus tôt…
Heureusement,
les modèles s'étaient quelque peu décalé de la réalité et l'accalmie prévue un
peu plus tard s'est présentée dès mon quart : assez rapidement, vers 22h30,
j'ai senti que Bluenote bougeait un peu moins, et surtout le bruit du vent
avait faibli, et en quelques minutes, notre allure avait baissé de 9 à 4 nœuds
à peine, on n'avançait plus ! Je suis allé prévenir Georges qui a fait quelques
manœuvres de voile pour nous redonner un peu de vitesse et la fin de mon quart
fut nettement plus calme.
Naturellement,
ces longues périodes d'immobilité forcée sont propices à la réflexion. Dans des
conditions désagréables, la fatigue aidant, c'est plutôt une perception un peu
négative qui l'emporte, en considérant que le prix physique de ce type de
voyage est un peu cher. Mais très vite, les considérations positives suivent :
un mode rare de voyage, "comme nos anciens", un peu comme les
explorateurs qui ont découvert tant de terres alors inconnues, qui laisse le
temps à une vraie coupure, comme on en a sans doute trop peu de nos jours. On
sent le prix, la grandeur du déplacement, on mesure l'immensité de la Terre, et
notre rassurante insignifiance, à côté. Le rapport au temps change, faire 10 km prend parfois une heure
pendant laquelle rien ne change autour de nous. C'est une chance, vraiment,
mais il faut passer par ces moments délicats… Tout l'art du navigateur de
plaisance est de savoir les limiter en anticipant les meilleures routes, tenant
compte de la météo…
Arrivée à fort Dauphin, Madagascar
Lundi 3 octobre : A la fin de mon quart, vers
minuit, en regagnant ma couchette, je me suis rendu compte que le petit hublot
bien fermé à côté de mon matelas n'était pas complètement étanche et que la mer
bien agitée avait réussi à (légèrement) en humidifier une partie. Je me suis
cependant endormi sur la majeure partie sèche, rassuré par l'amélioration des
conditions, et cette petite incursion marine n'a pas progressé pendant la nuit
! Après une fin de nuit qui s'est donc avérée assez calme, qui m'a permis de
reprendre quelques heures de sommeil, je me suis réveillé avec les premières
lueurs du jour, peu après 6h, et j'ai rapidement émergé pour aller voir la côte
malgache et le lever de soleil !
Petite déception
en sortant et en retrouvant Paul qui terminait son quart, pas de côte malgache
en vue, alors que nous n'étions qu'à une grosse vingtaine de milles au plus
proche. Le lever de soleil fut assez sympathique, nous avons ensuite manœuvré
pour remettre de la voilure et augmenter notre allure pour arriver en cours de
matinée. La mer était devenue belle, les conditions de navigation étaient
bonnes, manquant même un peu de vent, comme prévu cela dit… La grand voile et
le foc ne nous auront servi que moins de deux heures. Pendant le petit
déjeuner, les côtes malgaches sont enfin apparues, barrant comme attendu une
bonne partie de l'horizon : Terre ! L'Afrique…
A partir de ce
moment là, difficile de décrocher les yeux de cette côte sud-est de la grande
île, dont les détails se précisaient minute après minute. Soudain, du
mouvement dans l'eau, d'abord assez loin, je crois voir un poisson sauter, puis
ça se précise : une baleine ! Une autre à côté !
Pendant une
heure environ, plusieurs baleines ont joué autour de nous, émergeant plusieurs
fois, faisant sauter leur queue de nombreuses fois, quel spectacle, avec la
côte malgache au fond, en guise de bienvenue. Ce n'était pas Fort Dauphin, mais
Fort Baleine que nous rejoignions !
Un peu plus
loin, en passant un cap (la pointe Itaperina), on a aperçu des barques de
pêcheurs près d'un haut fond qui soulevait de sacrées vagues, premiers contacts
humains depuis 3 jours. Le petit cap (cap Antsirabe) où se situe Fort Dauphin
se précisait alors devant nous, on commençait à deviner des bâtiments. A sa
droite, une baie avec une immense plage de sable, apparemment déserte.
Notre
destination était juste un peu au delà de Fort Dauphin, Tolanaro en malgache,
dans une petite baie, appelée "Fausse baie des galions" (la véritable
semble un peu plus loin d'après la carte) où un port a été récemment aménagé
par une compagnie minière, où le consul de France de Fort Dauphin nous avait
conseillé d'aller nous amarrer.
En réalité, il
n'y a pas de port de plaisance ici, notre présence est à elle seule un peu
incongrue en ce lieu assez éloigné. Nous nous sommes approché de ce nouveau
port, appelé Port Ehoala, en contactant à la radio les responsables du port.
Nous avons du décliner notre identité, le but de notre demande d'arrêt (nous
protéger quelques jours de la tempête qui s'annonce sur la zone), et attendre
finalement qu'ils dépêchent au bout d'une petite heure deux personnes à bord
pour nous guider dans le port. Nous n'étions pas certains à 100% qu'ils nous
accepteraient, ce fut donc une bonne chose de faite.
Le port n'est
pas du tout adapté aux petits bateaux comme Bluenote, et notre présence ici est
assez insolite. Quelques heures après nous avoir aidés à nous amarrer, nous attendions
encore l'agent qui est censé venir nous aider à accomplir les formalités pour
finalement mettre pied à terre. Le port étant une zone commerciale et non
publique, nous ne sommes pas habilités à y mettre pied à terre. Par conséquent,
c'est une navette qui devrait venir nous chercher au bateau pour nous permettre
d'en sortir, on verra comment tout cela va se mettre en place.
Niveau météo, le
timing a vraiment été parfait : arrivée sur la zone lundi 3 au matin dans des
conditions calmes, assez ensoleillées, le ciel ne s'est couvert qu'à notre
entrée dans le port, et une petite demi heure après nous être bien installés,
un bel orage est passé sur nous, ce fut la première pluie depuis mon arrivée
dans l'Hémisphère Sud il y a 11 jours, qui a bien rincé le bateau complètement
salé par les paquets de mer de la veille. En quelques heures à quai, plusieurs
averses se sont succédées, le ciel est resté bien gris, avec un peu de vent.
Nous sommes
restés lundi soir, à bord de Bluenote, où nous étions confinés, en attendant
qu'un agent veuille bien se déplacer pour régulariser notre situation, ce qui
ne pouvait donc se produire avant le lendemain matin. Ambiance étrange le long
de ce quai de port de commerce privé, totalement désert après 17-18h, et
dont nous ne pouvions pas bouger. Du côté du ciel, accalmie météo avec même
quelques étoiles ce soir après le vent et les averses régulières de la journée.
L'espoir était bien là de pouvoir bouger mardi ! "
François
François
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