lundi 22 mai 2017

Saint Martin – Açores : Marthe



Samedi 6 mai, 9h du matin : c'est le départ. Après un denier ravitaillement en pain du capitaine, on lève l'ancre, on hisse la grand-voile et on laisse Saint-Martin derrière nous.





L’île s'éloigne doucement, la mer est un peu agitée. On est au près, et c'est assez inconfortable.
Je reste dehors à regarder l'horizon, mais au bout de quelques heures manque de me faire doucher par une belle vague qui vient inonder le cockpit. Il faut rester à l’intérieur et c'est là que ça se gâte un peu pour moi... C'est parti pour plusieurs jours de mal de mer, que rien (même les nombreux médicaments) ne fera partir, si ce n'est le temps (pratiquement cinq jours tout de même, pour me sentir vraiment remise... ) Je finissais par penser que j'allais passer quinze jours allongée tel un concombre de mer sur la couchette de quart, capable de grignoter uniquement une carotte crue de temps à autre. Thomas a également été un peu malade, mais ça ne lui a duré que 1 ou 2 jours.

Le deuxième jour, on entend la canne à pêche filer !! Le temps qu'on se jette dessus pour l’arrêter, « clac », le fil se brise … Autant pour le fil de pêche supra épais qu'on s’était appliqués à installer .. Plus tard dans la journée nous avons droit à un deuxième départ, mais le poisson se décroche avant qu'on ne l'ai aperçu … Au moins celui-ci nous aura laissé la ligne. Et en milieu d’après-midi, la troisième alerte sera la bonne ! Une belle dorade coryphène, remontée par papa et Thomas, avec mon assistance hagarde. Malheureusement, les deux mousses ne sont pas en état de profiter d'un tartare de poisson bien frais, alors la majeure partie part au congélateur.



dorade coryphène



micro poisson trouvé dans la dorade





Trois premiers jours de près inconfortables et frustrants, car la mer agitée et hachée nous empêchait de faire avancer Bluenote à la vitesse qu'il demandait... Le bateau tape fort contre les vagues, on a un peu l’impression d’être dans une montagne russe, ou plutôt d’être un bouchon surnageant dans une marmite bouillonnante, ballotté en tous sens. J’exagère un peu, mais depuis les tréfonds de mon mal de mer c'est exactement à ça que ça ressemblait.

On fait tout de même quelques manœuvres, des prises de ris essentiellement,




et j'arrive à assurer mes quarts. J'ai pris le premier, de 21h à minuit, papa celui du milieu et Thomas celui du matin, de 3h à 6h (souvent un peu plus tard même, vu que les deux autres roupillent).
Seul fait notable lors d'un de mes quarts sur l’entièreté de la traversée : un gros poisson volant fusant à 2cm de mon visage, s'écrasant dans le cockpit derrière moi. La bataille fut rude pour le saisir et le remettre à l'eau, mais j'ai vaincu.


La chose qui nous a le plus étonnés, Thomas est moi, est sans hésitation le bruit. Le vent qui siffle, l'éolienne, le gréement, la contre-écoute de grand-voile qui grince, la baume qui claque, l'eau qui file contre les coques, qui frappe le bateau, parfois vraiment très fort...  C'est un véritable vacarme, auquel on ne s'attendait pas. On est seuls au milieu de l'océan, et il y a plus de bruit que dans un aéroport !

Au bout de quelques jours, le vent finit par tourner, et on retrouve une allure bien plus confortable. Je passe du temps à guetter les vagues, croyant déceler dans la moindre écume la présence d'un animal marin, mais aucun ne daignera se montrer. Pendant les quarts, tous les bruits prennent une autre dimension, plus mystérieuse, et j'ai souvent cru à une baleine en train de souffler à côté du bateau sans jamais rien en voir (et à vrai dire, c’était à 99% le fruit de mon imagination).

Au matin on sort le gennaker, et on le rentre le soir. Bluenote commence à surfer sur les vagues, mais pas bien longtemps car la mer reste assez serrée. Les vagues déferlent sous la nacelle, imitant le tonnerre à s'y méprendre. On gigote moins, la vie est plus facile, mais le bruit est toujours bien présent. Avec Thomas, on s'imagine notre ami le Kraken (à prononcer « Craquin », c'est la version mignonne du monstre mythique) nous accompagner, se coller à la coque et donner des petits coups de tentacule quand il a faim.


Une petite routine s'installe. On passe notre temps à lire et à somnoler, la plupart du temps dans le carré. 



Thomas dans sa 2ème activité principale

Une partie de yam's quotidiennement, les manœuvres le matin et le soir. On ne joue pas aux cartes, sauf une fois. Papa m'a lancé un défi, et bien mal lui en a pris, car je lui ai infligé une défaite telle qu'il ne risque pas de rejouer avant un moment. Si on avait compté les points je pense qu'il était à -200. Il se vengera tout de même en nous écrasant lors de sa seule partie de yam's (la chance du débutant sûrement).
Plus on remonte au nord, plus la température baisse, et on se met à franchement cailler. Chaussettes aux pieds, doubles couvertures dans les cabines.
Vers le milieu du trajet, on aura quatre soirs d'humidité extrême, où à peine le soleil couché tout est immédiatement trempé. Le cockpit bien sûr, mais aussi le carré et surtout tous les tissus, nos vêtements et nos draps. Bien désagréable de se glisser dans un lit froid et humide.

On croise très peu de bateaux, un après-midi on repère un autre voilier sur l'AIS, on discute un peu avec lui à la VHF. C'est un monocoque qui se rend au Açores, en solitaire. On verra si on le retrouve sur place, même si, allant plus vite, on devrait y être bien avant lui. Hormis cette brève rencontre, rien à part quelques pétroliers et autres porte-containers, qu'on ne verra qu'une paire de fois passer dans notre champ de vision (et encore, pas dans le mien. C’était lors des deux autres quarts).

Rien dans la mer non plus, même si cette dernière nous offre un spectacle différent tous les jours. Agitée, hachée, puis frissonnante sous une longue houle, puis pétole totale, mer d'huile. 






Je me demandais ce que j'allais penser d’être au milieu d'une si grande étendue d'eau, rien à perte de vue. Eh bien l'horizon est finalement assez proche. On est bas sur l'eau, notre regard ne porte pas bien loin, et on a même l'impression que l'horizon est un peu plus haut que nous, à cause des vagues. J'ai la sensation d’être dans une cuvette perpétuelle, dans une bulle, le centre du monde. Le ciel et l'horizon se déplacent avec nous, parfois je me demande si on avance vraiment, mais le GPS me confirme le contraire. C'est une sensation assez agréable, et loin de celle d’être perdue dans l'immensité à laquelle je m'attendais. Notre monde est à ce moment tout petit, il se résume au bateau, et à deux ou trois kilomètres alentours. Sauf quand je me mets à penser aux six kilomètres d'eau sous nos pieds, et à toutes les créatures qui les peuplent...

Notre petite routine se trouve un peu bousculée vers le 10ème jour, quand on aperçoit enfin des dauphins ! Thomas les avait déjà vus brièvement deux matins de suite, mais ils n’étaient que 2 ou 3 et ne restaient que le temps d'un salut rapide. Là ils sont 7 et jouent un bon moment avec l'étrave (uniquement la bâbord, pas du tout l'autre, allez savoir pourquoi) pour notre plus grand plaisir !

Depuis quelques temps on voit aussi énormément de physalies, (ou galères portugaises!), ces sortes de méduses (qui n'en sont pas en réalité, me dira internet) à petite voile translucide, qui se laissent traîner par le courant. Le problème est qu'elles sont extrêmement venimeuses.






Alors quand un jour le bateau se traîne dans la pétole, nous forçant à lancer les moteurs durant 24h, on hésite très fort à se jeter à l'eau, juste pour le frisson de se baigner en plein océan, avec des profondeurs insondables sous nos pieds. Malheureusement le passage un peu trop fréquent de ces micros navires urticants nous en empêche. De toutes façons je ne sais pas si j'aurais osé tremper plus d'une jambe.


Le mercredi 17, le vent revient. On vogue au près, toutes voiles dehors, et ça commence à sentir l'arrivée.

Depuis deux jours les poissons ne daignent pas effleurer les lignes de pêche, c'est limite vexant. Il en sera de même pour le reste de cette journée.
Jeudi 18, le 13eme jour de navigation après notre départ : on sait maintenant qu'on arrivera dans la nuit. Pas question de tourner en rond pour attendre le matin, on se débrouillera. Thomas voit une fois de plus des dauphins au lever du soleil, et j’espère fort qu'on croisera enfin des baleines, sensées êtres nombreuses près des Açores.

Alors que le capitaine est en train de faire du pain, et que les deux mousses se rapprochent de l’état larvaire dans le carré, il pousse un cri. Il a cru voir quelque chose et en effet, à quelques mètres du bateau, un rond d'écume et de bulles est en train de disparaître doucement. On se précipite dehors et on guette. Enfin, une énorme forme claire apparaît à tribord, grossit et finit par percer la surface : une baleine ! 






Elle est à seulement 3 mètres du bateau ! On pense que c'est une baleine commune, mais dur à dire car on ne distingue pas les nageoires. Pendant vingt minutes elle va nous accompagner, prenant régulièrement sa respiration près de nous. Il y en a au moins une autre un peu derrière le bateau, et peut être une troisième. Pas de grand spectacle, de saut, ou de lever de queue, mais c'est tout de même très impressionnant, et émouvant.

Plus tard dans la journée, des oiseaux tournent autour de nos lignes, et PAF : l'un d'eux se coince une aile dans le fil. Papa le remonte, le pauvre oiseau fait du surf sur la crête des vagues et doit se demander ce qu'il lui arrive. Avec l'aide de Thomas (et d'une bonne paire de gant) ils arrivent à le désentortiller et le piaf reprend son vol sans trop de difficulté. Ouf !






On n’a pas eu une journée aussi active depuis le début de la traversée, et ce n'est pas fini !

Une heure plus tard c'est le cliquetis de la canne à pêche bâbord qui nous alerte. On file comme le vent, enfin une touche ! Le temps qu'on atteigne la canne celle de tribord se déclenche aussi ! On prend la décision de bloquer la première et de remonter la deuxième en priorité, son fil est plus solide, on a de meilleures chances de ne pas perdre le poisson. Bonne décision vu qu'on se retrouve avec une belle bonite, alors que l'autre canne remonte vide (mais l’appât est encore là, c'est toujours ça.)





Enfin on va enfin pouvoir se faire le tartare de poisson dont je rêve depuis le début du voyage !
Un bien bon repas pour fêter notre arrivée imminente.






A la tombée du jour, la mer nous gratifie d'une dernière surprise. Papa aperçoit au loin de très grands ailerons, bien droits et sombres. Ils sont à une bonne centaine de mètres, mais on est sûrs : ce sont des orques.

A 23h pour nous et à 1h du matin heure locale (on avait oublié de bien rattraper le décalage horaire) on affale et on entre calmement dans le port de Horta. Une fois l'ancre plantée et les moteurs coupés, le silence est incroyable, et avec Thomas on se dit qu'on va sacrement bien dormir !!!!



2 commentaires:

  1. C'est un récit passionnant ! Merci Marthe pour ce retour plein de sincérité. Bin vent poyr la suite. À bientôt

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    1. Merci Laurence pour Marthe qui lira ton commentaire dans quelques jours encore...

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