mardi 14 mars 2017

"Ma" grande traversée : Addenda d'Alexandra








Écrire : essayer méticuleusement de retenir quelque chose.
Arracher quelques bribes précises au vide qui se creuse,
laisser, quelque part, un sillon, une trace, une marque ou quelques signes.

Georges Perec

Qu'ai-je retenu de cette expérience extra-ordinaire que j'ai vécue, grâce à Georges, à bord de Bluenote ?
J'ai pris beaucoup de notes, j'ai tenté par mes post sur le blog de vous en faire partager quelques bribes. Mon fichier de photos déborde.

Mon corps, ma peau, gardent en mémoire " la mer, la mer, toujours recommencée ! ". Et le bateau qui court sur les vagues, qui ne demande qu'à courir. Sûr de lui et rassurant pour son équipage. Et le vent, le sel, le soleil, la nuit noire autant que l'éclat d'une journée écrasante de lumière, les variations de températures selon les latitudes. Et la mer, la mer, à perte de vue, qui nous porte, nous transporte, nous nourrit, nous émerveille ou nous impressionne, la mer qui glisse le long des coques ou s'y fracasse, la mer, verte, bleue, grise, marron, la mer, tapis scintillant ou noir velours, la mer qui nous entoure, nous borde, qui nous cerne ou nous embrasse, selon ses humeurs.
Ces sensations m'ont été sans discontinuer prodiguées par la nature. Les escales étaient à ce titre bienvenues : on faisait relâche dans les ports comme dans nos corps.

Et puis il y a les faits objectifs : les pays visités, les personnes connues ou inconnues rencontrées, les méridiens et parallèles - dont le Tropique du Capricorne et le méridien de Greenwich - franchis chaque jour jusqu'à l'équateur pour passer d'un hémisphère à l'autre. Autant de lignes tracées par l'homme pour se créer des repères sur la mer.

Et à l'arrivée : 


Alors avant de passer la parole aux équipiers suivants sur de nouvelles routes, voici d'autres bribes de souvenirs du bord, miscellanées heureuses :


- Le pain de Georges qui après avoir chatouillé délicieusement nos narines régale nos papilles, tous les jours :






- voir le soleil se lever :




- éteindre les feux de route quand le soleil pointe sur l'horizon :



- la pêche
Mais ça vous le savez déjà, alors pour le plaisir en voici encore quelques instantanés : là c'est un barracuda




- hisser le pavillon Q, soit le pavillon jaune.
Car c’est le signe qu’on va "atterrir".
C’est aussi dans l’alphabet maritime la lettre Q pour Quarantine (english).
Quand on arrive dans un pays, on doit hisser le pavillon du pays, appelé pavillon de courtoisie, et le pavillon Q pour signaler aux autorités qu’on attend les instructions et/ou autorisations pour descendre à terre.



- la douche au seau dans la jupe : j'ai inauguré cette façon de prendre sa douche (puis l'ai conseillée discrètement aux équipiers.. pour une meilleure entente entre nous car la proximité est grande à bord d’une surface réduite !)

On s’installe dans la jupe avec un seau (amarré) et on "puise" de l’eau de mer.
On s’asperge avec, à volonté, l’eau est inépuisable, on se savonne, on se rince, et on fait un court rinçage à l’eau douce grâce à la douchette installée dans la jupe. C'est un régal, un plaisir immense :





- A terre ! Alain, Winchy et Alexandra dans la Chevrolet sur les routes de Saint-Helena, avec Winchy qui en profite pour faire un selfie :



- la photo la plus étrange car prise en format panoramique mais quand le bateau bouge beaucoup :


 
quand je vous disais que la mer était agitée...


- LE tattoo
Résultat du concours de notre Tattoo pour le passage de LA ligne : nous avons choisi celui proposé par Winchy, revisité à ma demande par Marthe : 

NDR : torse non contractuel.


- 4.700 MN
pour naviguer de la ville du Cap, en Afrique du Sud à Cayenne, en Guyane.
conversion rapide des MN en kms : on multiplie par 2 et on retranche 10%, 
soit = (4.700 x 2) – 10% = 8.460 kms (environ)


- Un incident scientifique dû à Coriolis
Si vous avez bien suivi, nous sommes donc passés de l’hémisphère Sud à celui du Nord. Ce qui m’amène à une observation scientifique essentielle :

Ce savant a découvert une force qui fait s’inverser le sens de l’écoulement de l’eau dans un siphon, avais-je lu. Siphon d’évier s’entend pour moi, cook à bord. C’est une approche plus pragmatique que scientifique de la force de Coriolis, j’en conviens, mais Google n’étant pas dispo en navigation, je m’en  tins à ce seul aspect.
Après en avoir vérifié la véracité dans l’hémisphère Sud, j’ai suivi degré par degré notre progression pour ne pas rater le moment où, dans mon évier (qui est un peu mon objet fétiche, voire mon objet transitionnel à bord tant je le bichonne et lui confie au fil des repas le soin de me rassurer) l’écoulement de l’eau passerait du sens inverse des aiguilles d’une montre au sens opposé. En effet, sous mes yeux médusés (notez l'à-propos de la métaphore) le sens d'écoulement de mon eau de vaisselle a un jour changé de sens. Petit moment solitaire de gloire avec la sensation que le carré de Bluenote est devenu un haut lieu d'expérimentations scientifiques, à l'insu de Georges et Alain qui se reposent au moment de ma découverte.

Eh bien c'est faux !! Grosse déception.. tout ce que j'ai écrit ci-dessus est bien le fruit de mon expérience mais ce jour-là, c'était juste un hasard. Google me l'a expliqué : que ce soit dans l'hémisphère nord, l'hémisphère sud ou à l'équateur, l'écoulement de l'eau dans le lavabo peut autant se produire vers la gauche que vers la droite !
Il ne me fallait pas lire siphon mais typhon...
Un tourbillon dans l’évier est plus sensible aux forces de frottement dues aux aspérités du lavabo qu’à la force de Coriolis, contrairement aux cyclones et typhons (même chose) où Coriolis joue un rôle important.
Pour moi, encore une certitude qui se délite, c'est le cas de le dire !


- Rencontre en mer :
« Sailing boat on my port side, sailing boat on my port side » à la VHF.
L’appel est plusieurs fois répété, nous sommes tous sur le pont en manœuvre.
Georges finit par pouvoir répondre. Un pétrolier de 183 m, l’Evros nous indiqua l’A.I.S. longeait notre tribord, son capitaine voulait tailler une bavette avec nous. Il a d’abord demandé qui on était, puis si on avait besoin de quelque chose, enfin d'où on venait, où on allait etc… Super sympa. Georges lui a même demandé s’il faisait la course avec nous ! Et il voulait savoir si on allait naviguer vers la France, peut-être parce qu’il avait la nostalgie de son pays, et que "chez nous", nous baignons dans la même mer, il était grec.


- Éloge de la lenteur, last but not least :

En guise de souhaits pour ma grande traversée, les mots de Baudelaire résonnaient en moi :
"Il est l'heure de s'enivrer !
Pour n'être pas les esclaves martyrisés du Temps,
enivrez-vous ;
enivrez-vous sans cesse !
De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise."

Mes vœux ont été exaucés. Mais c'est le Temps qui est en l'élément majeur : l'essence même du voyage en bateau, a fortiori lors d'une grande traversée,
c'est la pratique de la lenteur. Et le plaisir qui en découle. La lenteur nous permet d'échapper au rythme effréné de nos vies de terriens et nous rappelle le nécessaire ralentissement à leur imposer.
Au lieu de la recherche compulsive d'intensité, sinon on croit qu'on va dépérir comme une plante qui manque d'eau, on retrouve, soulagé, la simplicité dans un monde devenu de plus en plus complexe, une consommation adaptée aux éléments qui nous entourent et un moyen de locomotion qui ne dépend que d'eux.


Conclusion :
- " Alors c'était comment, t'as aimé ? "
- " OUI. C'était SUPER ! "
Même si " le voilier est de loin le moyen le plus lent, le plus inconfortable et le plus humide pour quitter un endroit où l’on se trouve particulièrement bien et rejoindre un endroit - pas forcément prévu - où l’on n’a rien à faire " comme aiment à le décrire les voileux.

Je peux maintenant retourner à ma peinture après cette exceptionnelle aventure océanique et demeure dans le mouvement parce que "L'art est ce qui aide à tirer de l'inertie" (Henri Michaux).

Mais j'ai découvert que naviguer c'est aussi un art et Georges le pratique avec talent.







3 commentaires:

  1. Merci pour ce très beau récit.

    La douche dans la jupe semble un peu dangereuse mais tu nous rassure et cela est surement très agréable sous les tropiques.

    La lenteur du voilier est toute relative en effet, si on considère les dégâts causés par les moyens de transports plus rapides. Tout ce paye, et cette lenteur est le prix à payer d'une certaine liberté d'aller où aucun autre moyen de transport ne serait nous emmener.

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  2. Merci à toi Jean de livrer tes impressions.
    J'espère bien que tu viendras à bord de Bluenote un de ces jours !

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  3. C'est Passionnant et ça donne envie d'y aller. ...gros bisous et à bientôt

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