dimanche 5 mars 2017

Traversée de Joao Pessoa, Brésil vers la Guyane


Bonjour à tous,
Je vous ai laissés à notre départ du Brésil où le carnaval se préparait : 



Voici enfin le récit de notre traversée vers la Guyane :

Alain et moi, mais pas Georges qui est un marin d'expérience, craignions pour  cette traversée l'un des cauchemars du marin : être encalminé = immobilisé par l'absence de vent. Car nous allions traverser la célèbre Z.I.C : la Zone Intertropicale de Convergence. 


Une zone créée par les anticyclones Nord et Sud, celui des Açores et celui de Sainte-Hélène. Pour faire court : quand on navigue sur le dos des anticyclones, on est porté, emporté, par eux. C'est le régime des alizés, "normalement"  confortable. (Notez le "normalement" entre guillemets car ça n'est pas toujours le cas.. La  lecture de ce blog a dû vous le laisser entendre.)
Entre les deux, c'est la Z.I.C. = une zone de conflit car de ces 2 anticyclones partent des masses d'air qui convergent en s'opposant.

A part cette légère appréhension au sujet de la Z.I.C. pour 2 d'entre nous, nous partions heureux, équipage réduit à 3 du fait du départ de Winchy. Légumes et fruits envahissaient cockpit et carré, la perspective de festin grâce à eux réjouissait nos papilles, nos cales débordaient de boissons désaltérantes (!), nous étions fin prêts pour le départ :  



La poissonnerie était rouverte :



La croisière redémarrait, s'amuserait-elle encore ?

Les premières 24h, nous sommes contents, nous marchons bien : une moyenne de 10 nœuds. L’usine de poissons s'est remise en route avec la pêche d'un petit thon. Je fais un tartare et nous nous installons pour notre partie de cartes. Il est 18h quand nous pensons à l’interrompre pour ranger le spi. A ce moment-là on entend un claquement sec et je vois par le hublot une bande de spi comme je ne l’ai jamais vue. Georges s’est déjà précipité dehors. Et constate. Le spi s’est déchiré en deux… A la hauteur de son 1er tiers. Une partie reste sur la drisse, l’autre est à l’eau et a tout de suite stoppé net le bateau. Mais on a tout récupéré, rien perdu. Demain on verra si on peut réparer.

Bonne nuit avec des quarts de 3h1/2 cette fois-ci car nous ne sommes plus que 3. Winchy manque aussi pour ça ! Une veille attentive tous les ¼ d’h est nécessaire du fait que nous longeons la côte et qu’il y a des pêcheurs qui peuvent s’aventurer à plus de 10 MN de leurs côtes et… sans lumières ! Et nous croisons beaucoup de cargos dans cette zone.
La demie pleine lune s’est levée tôt, sa forte luminosité empêche de contempler le ciel étoilé mais éclaire chaque crête de vagues. Bluenote glisse alors sur un tapis argenté.

Le lendemain matin, l’ordi portable de Georges, qui sert à la navigation, s’est soudainement arrêté de fonctionner… Heureusement il a son ordi fixe (tropicalisé, lui) mais là ce sont les couleurs qui sont impossibles à régler.

Et il commence à faire une chaleur de bête, probablement à cause de la proximité de l'Equateur. Et le vent tombe. Et la navigation devient pas facile : après trop peu de vent et une chaleur poisseuse infernale, on a pris un ris pour la nuit, ça tombait bien, le vent a forci. Alors on recommence, surtout moi, à se cogner partout, à avancer en titubant pour finir sa course soudain accélérée par un mouvement intempestif de Bluenote sur un coin de meuble. Et ça n'a plus cessé jusqu'à l'arrivée !

Eh oui, je vous parlais de conflit de vents dans la ZIC, or si conflit il y a, c'est synonyme de problèmes pour le navigateur... J'aurais dû m'en douter. Mais dans l'esprit de nombreux circumnavigateurs débutants -comme moi- il y a l'idée -sotte- de l'absence de vent, sous le prétexte -idiot- qu'on a quitté le régime des alizés.

Vous l'aurez compris, j'avais tout faux. A part le début, ce fut une navigation musclée, bruyante, fatigante, mouvementée, au sens propre. Donc rapide, voilà bien le seul agrément qu'elle eut.
Pendant 5 jours sur les 6 de navigation, nous avons eu, en allant crescendo, entre 25 et 45 nœuds de vent par le travers, dans une mer courte et désordonnée, avec des creux de 4 à 5 mètres. Tu parles d’une ZIC : ça oui, ça converge dans tous les sens.

Ça donne ça comme ambiance à bord : ça bouge, ça mouille, tout le bateau suinte de sel, éclaboussures d'eau de mer, quand ce ne sont pas des paquets d'eau de mer, inondent le cockpit, voire le carré car il est hors de question de fermer la porte entre cockpit et carré sinon nous mourrions d'asphyxie avec 35° et 85% d'hygrométrie à l'intérieur. Il y a même des vagues qui recouvrent tout, roof et bimini, et finissent de s’écouler sur les vitres du carré, de l’autre côté.
Tout ça dans un bruit d’enfer, tout qui valdingue, tout qui colle, je déteste ça ! Bruit de folie dans le bateau. Tout claque, pète, remue, chahute. L’eau n’en finit plus de glisser contre les coques dans un gargouillis incessant ponctué de brutaux à-coups secs.

Le 8 février à 12h30, on a franchi la ligne de l’Équateur :



Impossible de boire un verre car on n’y a pas le cœur ou plutôt les tripes, impossible de se déguiser comme on l’avait prévu pour faire des photos sympas - et des souvenirs de ce moment mythique - ça bouge beaucoup trop et on n’y a pas l’âme.
J'ai quand même concocté un bon repas : guacamole sur tranche de tomate servi dans une assiette creuse car impossible de s’installer pour bon apéro festif, vu les mouvements brutaux du bateau. Alors on se cale comme on peut dans un coin du cockpit pour manger sa « gamelle » avec un peu d’air : Alain et moi côte à côte sur la banquette contre le rouf et Georgio à genoux devant la table sur laquelle il a posé son « écuelle » !
Puis tataki de thon càd du thon cuit "tourne-retourne" avec riz +oignons et ail.

Et il va falloir nous faire tatouer, c'est la coutume des marins qui franchissent LA ligne. Ce blog recueillera vos idées : soumettez-nous vos dessins de peau, nous en choisirons un !

Au petit matin du samedi 11 Février, le calme est revenu peu à peu pendant notre dernière nuit et  "This is the end..(petites notes de guitare qui s'égrènent dans l'aube, les Doors). A 8h on aperçoit la côte de Guyane. Rapidement se profilent les îlots qui balisent l’entrée du chenal que nous empruntons pour aller dans notre marina, à Degrad des Cannes. "La mère". "Les 2 mamelles". Nous les laisserons à bâbord. "Le père" sera sur notre tribord. Loin sur le tribord, "L'enfant malingre". Et "L'enfant perdu". Parfois les cartes ça fait flipper..
Bienvenue en France pour le choix des appellations.

C’est la fin du voyage pour moi, la fin de cette aventure maritime, océanique. Je voulais connaître cette façon de naviguer, d’être en bateau, de naviguer sur une longue distance. C’est fait. Ça me fait penser à ma remontée du Grand Canyon il y a très longtemps dont la pénibilité avait pourtant été atténuée par la consommation de substances illicites qu'avait partagées avec nous notre compagnon de route. Et qui m'avait fait dire à l'arrivée : " c’est fait, c’est plus à faire ! ". Mais que de bons souvenirs engrangés alors comme pendant cette traversée !

What else ??!! à suivre, stay tuned.
Alexandra de retour à Sète.



3 commentaires:

  1. Très beau récit, merci, on a l'impression de l'avoir vécu avec vous :)

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  2. Merci Drouchka pour ce beau récit !

    C'est tellement agréable de lire chacun de vous avec son style, ses sensations personnelles et pourtant, un récit si vivant !

    Comme ton cousin Jean, j'ai l'impression d'avoir voyagé avec vous !

    Merci pour ce beau partage !

    Où est captain Georgio en ce moment ?

    Biz de ta cousine Vannina

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