lundi 22 août 2016

Traversée Bali-Cocos Keeling - 1



Bluenote a effectué le 1er tiers de sa traversée de l’Indien. Ils sont arrivés aux Cocos Keeling Islands après 6 jours de navigation.

Je laisse la plume - une très belle plume - à Jean-Pierre qui tient un journal de bord d’autant plus passionnant que c’est celui d'un « équipier qui aimait la mer mais n'en connaissait que l'écume, autant dire pas grand-chose ». Grâce à lui, nous découvrons pensées et sensations qui animent le marin lors d’une grande traversée en direct :


" Premier quart de nuit : chevauchée fantastique

Mercredi 17 août – 3h20. Je suis seul sous les étoiles. Du moins celles que l’on aperçoit, la plupart étant voilées par les nuages. La lune qui, tout à l’heure au début de la nuit, dominait la voûte céleste de toute sa puissance par bâbord arrière, me montre désormais la route, à l’avant. Une route sud-ouest sur les onze mille milles qui nous reste à couvrir jusqu’à l ‘archipel australien de Coco-Keeling. Depuis que Bluenote a quitté le mouillage de Serangan au sud de Bali hier matin peu après 10h, franchissant la passe de la barrière de Corail à côté de laquelle s’égayait une palanquée de surfeurs, nous avons donc parcouru cent milles, ce qui est un bon rythme. Du Sud Est vient un souffle chaud régulier qui propulse le catamaran de cinquante pieds à près de dix nœuds en vitesse apparente. Et ce, alors que nous avons amené le gennaker déployé après le déjeuner et pris un ris dans la grand-voile, manœuvres effectuées après le coucher du soleil. Le navire suit, très au large, les côtes du centre de Java à la hauteur de Jogyakarta.
 
Tout autour de moi, rien ne se signale dans l’obscurité, pas la moindre lumière. Hier, vers 21h alors que nous naviguions à proximité du détroit qui sépare Bali de l’île indonésienne principale, nous avons croisé la route d’un navire de pêche, probablement un ligneur, puis aperçu, loin à bâbord, les feux d’un autre bateau. Depuis, plus rien. Le vide absolu sur cet océan qui donne l’impression que l’on chevauche un monstre. Un monstre placide mais un monstre tout de même. La houle qui nous accompagne par trois quarts arrière, est puissante avec des creux de quatre à cinq mètres, elle imprime au bateau un léger roulis. Parfois, une vague plus téméraire que les autres vient claquer sur l’un des flotteurs. Aux environs de minuit, à la relève du quart, une brusque saute de vent a obligé Captain Georgio et Alain à opérer quelques réglages. Le mouvement du bateau est soudain devenu moins régulier jusqu’à ce que les ajustements de voilure lui redonnent son rythme.
 
Je suis donc de quart, le premier de la longue traversée. De 3H au lever du soleil. Trois heures de solitude à scruter l’horizon mouvant à l’avant du Bluenote pour y déceler les lumières d’un bateau qui n’aurait pas de signalement AIS, le réseau de positionnement international ; trois heures à suivre la vitesse sur trois instruments de mesure dont le GPS, à vérifier que la route suit au plus près, celle, théorique, représentée en bleu sur l’ordinateur de bord. Et justement, depuis ma prise de quart, elle a tendance à s’en écarter. J’ai donc corrigé le pilote automatique de deux puis de cinq degrés à tribord.
 
... Déjà une heure et demie de veille. Au-dessus de l’horizon, la lune est masquée par un monumental nuage noir à l’architecture de cathédrale futuriste. La clarté de l’astre, renvoyée à la verticale, dessine comme un large linceul, loin, très loin à l’avant. Debout à côté de la barre, accroché à une poignée aménagée dans la saillie du roof, j’observe le mouvement puissant de la houle. Les rouleaux qui viennent vers moi sont gris acier. Ils font se soulever Bluenote qui ne cesse de se cabrer puis de redescendre en une sorte de chevauchée fantastique. C’est à la fois grisant et un peu inquiétant pour le terrien que je suis.
 
Nous avons quitté le sol de Bali à 9h30 locales mardi 16 août lorsque nous avons embarqué sur l’annexe pour rejoindre Bluenote après des ultimes courses effectuées à terre et un passage au service de l’immigration pour le visa de sortie. 


Le petit village de Serangan, au bord de la mangrove qui couvre les pourtours de l’île de la Tortue, malgré les flots de touristes qui viennent y embarquer pour les îles Gilis, a conservé son authenticité : maisons de plain-pied construites en pierres de lave, rues étroites et pavées bordées de bougainvilliers et de frangipaniers en fleurs, cours intérieures fraîches sur lesquelles s’ouvrent des varangues aux menuiseries multicolores et où les familles ont élevé des temples domestiques aux dieux de l’hindouisme... Il y a bien une mosquée à Serangan qui appelle cinq fois par jour les fidèles à la prière mais ici, les fidèles sont plutôt ceux de Brahma, Vishnu et Shiva. Une belle excursion matinale donc avant le grand large.
 
La réalité de la Bali moderne, bouffée par le tourisme de masse et la surpopulation a fini par nous rattraper au franchissement du cap au bout de la presqu’île de Benoa : plages bordées d’hôtels internationaux, collines surplombant la mer dévastées par les engins de chantier, voilà la dernière image que nous avons emportée de cette île de la Sonde, jadis paradisiaque.
 
Il est maintenant 5h30. Mon quart s’achève dans une demi-heure. La lune s’est noyée dans l’océan. La nuit est d’encre. Pas encore de trace de l’aube. Loin, très loin sur tribord, des éclats lumineux trouent l’obscurité : probablement les éclairs d’un orage sur Java ou les explosions du volcan Mérapi.
 
Puis voilà que le crépuscule s’installe. L’orient se colore de rose et les nuages qui s s’y étirent, de bleu pastel. Bluenote est revenu sur sa route à coup de petites corrections du pilote automatique. Le jour est maintenant totalement levé. Les deux lignes de pêche installées sur les jupes ont été mouillées mais nous avons déjà des prises : quatre poissons volants qui ont atterri en catastrophe sur le filet du trampoline.
 
Fin du premier quart de nuit. "


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