mercredi 24 août 2016

Traversée Bali-Cocos Keeling – 3



Voilà où se trouve actuellement Bluenote : Cocos Keeling Islands



Plus précisément, là où se trouve le point orange :
Mais avant d’arriver là, Jean-Pierre a dû affronter sa 3ème nuit de quart !


" Troisième quart de nuit : Christmas, c'est pas noël

Vendredi 19 août – 3h15. Vent apparent 15 à 20 nœuds, vitesse de Bluenote entre 7 et 8 nœuds, deux ris pris dans la grand-voile car 25 nœuds de vent sont annoncés en fin de nuit par les modèles météos chargés le jour de notre départ de Benoa Harbour.

Et les modèles semblent se confirmer. Le ciel est obscur, il tombe quelques gouttes dans le vent chaud. A loin, des masses sombres sur l’horizon confirment cette tendance au temps perturbé.

Il y a trois heures maintenant que nous avons quitté les parages de Christmas, ce bout de terre australien à mi-chemin entre sa voisine et compatriote Coco-Keeling et Bali d’où nous venons.
De Christmas je n’aurai vu qu’une masse sombre à tribord dominée par une lumière rouge. L’océan roulait sur les hauts fonds qui environnent l’île, secouant vigoureusement le catamaran.




Tout au long de la journée d’hier, c’est sur un véritable désert que nous avons navigué. Plus rien depuis les rencontres de la nuit précédente. Aucun pêcheur indonésien ne s’aventure dans ces eaux lointaines, si proches d’une zone économique étrangère.

Car les australiens veillent jalousement sur ce territoire marin du bout du monde. En fin de matinée nous avons été appelés sur la veille VHF par l’opérateur d’un avion des coast-guards. Si nous ne voyions pas l’appareil, lui nous avait repérés. Probablement de très haut dans le ciel. Il savait que nous étions un « sailing vessel », un voilier. Il nous a demandé le nom du bateau, son pavillon, notre port de provenance, celui de destination. Un interrogatoire en règle un peu surréaliste, comme venu de nulle part.

L’approche d’une terre habitée, marquant la moitié de notre route vers Coco, la perspective de pouvoir « accrocher » un réseau de téléphonie, fait naître un peu d’impatience. Il n’y aura pas d’autre occasion de pouvoir communiquer avec nos proches en navigation. Eux en sont réduits à suivre notre route sur traceur AIS privé. En attendant, nous tuons le temps plongé dans nos liseuses ou en jouant aux cartes, à un jeu de stratégie baptisé « pinacola » que Captain Georgio a rapporté de ses multiples pérégrinations océanes.

Je tue le temps aussi en me chargeant de la cambuse, ce qui n’étonnera pas ceux qui me connaissent : omelette, pommes de terre rissolées et lardons dans son confit d’oignons à midi, rôti de porc aux carottes parfumées au cumin le soir.

Voilà tout ce qui nous occupe. Car les manœuvres sont rares à bord de Bluenote. Elles se résument à établir la grand-voile et lancer le gennaker le matin, à ramener cette voile d’avant et à prendre un ou deux ris le soir après le coucher du soleil. Et encore hier, avec le fort vent de sud-est, nous sommes nous contentés de naviguer avec deux ris. Malgré cette réduction de toile, le bateau a poursuivi sur le même train que les jours précédents : près de dix nœuds de moyenne en vitesse réelle.

Il faut voir Bluenote chevaucher la puissante houle, cabrer ses étraves en crête de vague, plonger ensuite pour se cabrer à nouveau, paraître hésiter sur la direction à suivre, partir au lof pour revenir, entêté, sur sa trajectoire. Une belle navigation sur un bateau racé qui malgré la rudesse de l’océan, nous assure des conditions de vie plus qu’acceptables.

A minuit quinze, j’ai émergé d’un mauvais sommeil dans les draps tourmentés de ma couchette. Un sommeil agité, au sens littéral du terme. L’alarme de mon subconscient, sans doute. Je savais que nous serions au plus près de Christmas à cette heure-là. Fiévreusement j’allume mon mobile et lance la recherche des opérateurs. Trois barrettes : je tente un appel vers la France. Sonnerie au bout de la ligne, à six mille kilomètres. Edith décroche. Curieuse sensation de l’imaginer assise au salon, occupée à prendre le thé avec une amie, alors que je suis ici, dans ce carré seulement éclairé par les instruments de bord, à quelques milles d’une île du bout du monde plongée dans les ténèbres. Nous échangeons quelques informations sur nos quotidiens respectifs. Le ton enjoué de sa voix me rassure. Nous raccrochons. Je redescends dans ma couchette pour tenter de récupérer du sommeil avant le quart.

(...) 5h10. Le vent n’a pas encore forci. Bluenote trace sa route toujours à dix nœuds de moyenne. La Lune vient de refaire son apparition après un grain. Je grimpe sur la petite plateforme à côté de la barre où, face aux éléments, accroché à la poignée du roof, j’ai l’impression de faire corps avec le bateau et, comme lui, de chevaucher l’océan, à l’assaut de sa houle d’acier. "


 


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