Ce matin, Bluenote a levé l’ancre de Rodrigues.
Direction l’île Maurice.
C’est la dernière partie du voyage pour Jean-Pierre et
Alain. Nous en aurons des nouvelles dans 2 ou 3 jours. Mais avant cela,
poursuivons le récit des quarts de nuit de Jean-Pierre pendant la traversée de
Cocos Keeling à Rodrigues.
Alexandra à Sète.
Samedi 3 septembre – 3h23 : 1038 miles de Rodrigues, 976 miles de Cocos.
Dans une vingtaine de miles, nous aurons atteint la
moitié de notre voyage entre l’archipel australien des Cocos Keeling et
Rodrigues, petite île des Mascareignes appartenant à Maurice. Pourtant rien ne
va en ce début de quart.
Le vent, dans la nuit, a abandonné le secteur sud-est
pour s’orienter nettement à l’est, nord-est. Le foc faseille et la grand-voile,
toujours réduite de trois ris, menace d’empanner.
En pleine nuit, il serait délicat de procéder à un
virement de bord. Je joue donc avec le pilote automatique mais, malgré ce, la
flèche du cadran de l’anémomètre a une fâcheuse tendance à aller au-delà du 150
vers l'arrière et, bien sûr, Bluenote s’éloigne progressivement de sa route.
Pourtant tout s’était bien passé hier. Notre stratégie
qui consistait, en jouant sur une petite vitesse et une route plus sud, à
contourner le front perturbé issu d’une importante dépression australe, avait
fini par payer.
Le fort vent du début de journée qui donnait une mer
cassante sous un ciel chargé, avait fini par se calmer en début d’après-midi.
Le beau temps est revenu et l’optimisme avec ; nous
allions enfin pouvoir offrir de la toile à Bluenote et revenir sur une route
plus directe !
Ce vendredi devait donc donner une nouvelle
orientation à notre long voyage en entrant dans sa deuxième partie.
En milieu d’après-midi nous avons déplacé le chariot
du génois à bâbord et procédé, vers 18h, à une correction de cap en abattant de
25° vers l’ouest. Nous avons également retardé nos montres d’une heure pour
nous caler sur le soleil. Nous sommes, en ce début de week-end, à la longitude
de Colombo, capitale du Sri Lanka : 81°Est.
Je croise les doigts pour que le vent reprenne le
rythme normal de l’alizé.
81° Est, longitude de Colombo.
J’ai besoin de ces projections régulières de la position de Bluenote sur les
terres continentales. Plus que les degrés et les minutes, notions très
théoriques pour moi, ces références aux villes et aux pays du continent
asiatique, me permettent de matérialiser le voyage. Nous sommes partis de Bali
à la hauteur de Hongkong, nous voici maintenant au niveau de Colombo au Sri
Lanka, c’est tout de même plus parlant que d’écrire : Nous sommes partis du
115° Est et nous en sommes au 81e.
(...)
4h40 – Longs instants de stress du navigateur débutant :
j’en suis toujours à faire des va-et-vient entre le pont arrière pour
surveiller « de visu » le comportement de la grand-voile et le roof pour suivre
l’orientation du vent et la route du bateau qui décline trop vers le sud, quand
retentit le « bip » du détecteur de radar. Il en a « accroché » un autre dans
les environs. Je sors et ne vois rien, aucun feu de position sur l’horizon
encore plongé dans la nuit.
Retour dans le roof : le bip retentit toujours et le
vent se stabilise en dessous des 150. Rien sur l’écran de l’AIS, le système de
positionnement satellite.
Se pourrait-il que le bâtiment qui croise dans nos parages n’en soit pas équipé comme le cas s’est déjà présenté ?
Se pourrait-il que le bâtiment qui croise dans nos parages n’en soit pas équipé comme le cas s’est déjà présenté ?
Pas d’AIS certes, mais pas de feu de position, ici, au
milieu de l’Indien, loin des zones de pêche où évoluent les petites embarcations
côtières : ce serait très étonnant. Le bip retentit encore. Je sors : aucun
feu. Je corrige le pilote automatique. Et là, j’entends Captain Georgio que le
bip a réveillé : « tu peux le couper, le bateau doit être loin ». Il coupe
lui-même le signal sonore de l’avertisseur radar tandis que le témoin lumineux
continue de clignoter. Georgio est retourné se coucher.
Le jour se lève sur l’Indien : rien à l’horizon.
Je sors du congélateur notre portion quotidienne de thazard pour le déjeuner.
Je suggérerai de le préparer cette fois avec des pommes de terre bouillies
accompagnées d’une sauce au lait de coco et curry. Hier, c’était riz et...
Oignons.
Il me faut rendre ici un hommage appuyé à ce
magnifique poisson de l’Indien, sans doute suffisamment déprimé pour se jeter
sur le rapala, tentacules rose fluo et sourire béat, qui décorait
le bout de notre ligne car la voracité n’explique pas qu’on puisse prendre un
cadeau Bonux pour un « poufre de roc ».
De ses longes à la chair rosée, blanche à la cuisson,
nous avons extrait dix belles portions qui feront autant de repas pour nous
trois. J’ai rarement dégusté une chair de poisson aussi onctueuse (tourne et
retourne à la poêle) issue de filets d’une telle épaisseur.
Je laisse échapper une larme, vite séchée, sur le
suicide du thazard en me remémorant le vieux dicton : « A toute chose, malheur
est bon ».
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