Huitième quart de nuit : Tentative d'éloge du temps qui passe... Lentement
Mercredi 31
août – 3H20 ; 455 miles des Cocos, 1 548
miles de Rodrigues.
Nous n’avons fait que 183 miles nautiques en 24h
depuis ma prise de quart hier. Une « petite » vitesse totalement assumée
puisque nous avons navigué avec trois ris dans la grand-voile et un foc réduit
; foc que nous avons totalement enroulé en fin de journée pour le rétablir
partiellement ensuite.
A ce rythme, nous devrions atteindre notre point
d’inflexion sur la route sud samedi aux premières heures de la journée, après
le passage de la perturbation annoncée.
Il nous restera alors approximativement mille miles nautiques à couvrir pour atteindre Rodrigues soit environ un peu moins de cinq jours de mer si nous adoptons une allure plus soutenue. En arrivant, au mieux, mercredi 7 septembre en fin de journée mais plus sûrement jeudi 8 septembre, nous aurons alors navigué pendant onze jours entre les Cocos et les Mascareignes.
Il nous restera alors approximativement mille miles nautiques à couvrir pour atteindre Rodrigues soit environ un peu moins de cinq jours de mer si nous adoptons une allure plus soutenue. En arrivant, au mieux, mercredi 7 septembre en fin de journée mais plus sûrement jeudi 8 septembre, nous aurons alors navigué pendant onze jours entre les Cocos et les Mascareignes.
Je ne sais si j’en suis au point de faire l’éloge de
la lenteur... Sans doute pas encore ! Dans cette course éperdue contre la fuite
du temps qu’est ma vie comme celle de la plupart de mes congénères, ces
longues, longues journées passées à bord de Bluenote sont comme un point
d’orgue.
Il m’arrive parfois, quand la mer se fait dure (c’est
à dire souvent) ou quand le bouquin dans lequel je suis plongé finit par me
lasser, de songer à ces vols transcontinentaux dont nous ne voyons plus la
course dans ce ciel du bout du monde. Ces vols où des passagers installés plus
ou moins confortablement, rêvassent en regardant, de dix mille mètres
d’altitude, les ridules de l’océan qui sont, pour nous, des creux de cinq
mètres. Dans quelques heures ils seront à destination, moi pas !
Quel sens a donc une navigation à la force du vent au
cœur du vingt-et-unième siècle ? Quel sens a ce voyage au milieu de nulle part, au
milieu de ces espaces liquides, mouvants, où rien ne borne la route en dehors
de quelques appareils électroniques et de la course des astres ?
La réponse est sans doute dans cette voûté étoilée qui
cette nuit encore s’offre à l’homme de quart. Elle porte nos rêves, notre
imaginaire vagabonde au gré des constellations ; elle renvoie aux mythes de
l’humanité, à ses incertitudes, à ses doutes, à ses convictions aussi.
Qu’y a-t-il au-delà des galaxies ? Qu’y a-t-il au-delà
du néant liquide ? Ces questions qui taraudèrent les premiers navigateurs, leur
permirent d’avancer, d’aller au-delà d’eux même, au-delà des mers avec pour
seuls moyens, les forces brutes de l’océan et du vent dont il faut se faire les
alliés si l’on ne veut pas courir au naufrage.
C'est sur la carte du ciel que ces aventuriers des mers
traçaient leur route. Sur mer, ils voyageaient en lisant le ciel, suivant
l’étoile du Berger ou la Croix du Sud, estimant leur position à l'heure du
soleil zénithal.
Voyager sur mer la tête dans les étoiles, voyager là
où on ne rencontre personne si ce n’est soi-même, traverser cet espace-temps
d’une autre dimension et vivre cette traversée, pleinement, lentement.
Reconquérir les heures, les jours en oubliant la
relativité des secondes et des minutes, bref reconquérir le temps qui nous
échappe trop, trop souvent : ne serait-ce pas le sens de ces navigations d’un
autre âge, de ces navigations de toujours ?
On dit que l’on mesure le stade d’évolution d’une
civilisation à la perception qu’elle a du temps qui passe, aux instruments
qu’elle se donne pour mesurer sa fuite plus ou moins finement : cadran solaire
ou horloge astronomique...
Signe d’évolution ? Pour ceux qui veulent comparer les
civilisations les unes aux autres à l’aune de leurs propres critères, sans
doute. Pas pour moi.
Avant de vouloir capturer les milliardièmes de seconde, d’abord faut-il savoir
observer une plante qui pousse, admettre que la vie d’un homme ne s’inscrit pas
sur une échelle de temps mais sur une échelle de valeurs. Conquérir sa liberté,
c’est s’affranchir des heures et des minutes. L’esclave du temps n’est pas un
homme libre.
Voilà où j’en suis de mes réflexions au cœur de cette
nuit où le bateau avance vers un horizon de ténèbres, secoué par une houle
croisée, au rythme des vagues qui claquent contre ses coques. Un œil sur l’anémomètre
électronique, l’autre sur l’écran de l’AIS pour vérifier qu’aucun bateau
n’entre dans notre horizon électronique à seize miles nautiques de nous.
Hier soir, un cargo de 180 mètres, l’Océan Journey,
s’y est invité. Dans une mer très cassante, il se dirigeait droit sur nous, sur
une route de collision. Il était alors près de 19h, la nuit était d’encre.
La sonnerie du signalement radar nous a indiqué que le
sien avait accroché Bluenote. Dans sa passerelle on pouvait donc nous voir sur
l’écran mais pas nous identifier comme voilier.
Captain Georgio l’a alors appelé sur le canal 16 de la
VHF. Une voix grésillante lui répondu dans un anglais exotique. Océan Journey
nous invitait à ne rien modifier de notre route. Il allait la couper à cinq ou
six miles et poursuivre sur notre tribord.
Nous avons vu l’énorme masse passer près de nous avec
ses feux de position, cap sur l’extrême orient.
Si vous avez une connexion internet, vous pouvez prévoir les trajectoires des cargos avec cette application: http://www.marinetraffic.com/en/ais/home/centerx:63/centery:-21/zoom:7
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