Avant votre nuit que je vous
souhaite douce, je vous livre l’avant avant-dernier quart de nuit de
Jean-Pierre, au titre sibyllin.. Demain vous saurez enfin s’ils ont atteint la « Terre Terre
» de Rodrigues….. Oui, je sais que vous le savez déjà, ça s’est produit il y a
6 jours mais il faut bien faire un peu de teasing sur ce blog !
Alexandra, à Sète.
Quinzième
quart de nuit : Hélas la tempête est passée
Mercredi 7 septembre – 3h29 ; 298 miles de Rodrigues, 1703 miles des Cocos ; 19°23
Sud, 68°52 Est, longitude du delta de l’Indus (Pakistan). 15 nœuds de vent dans
le 150, sud-sud-est. Cap au 265. Pression atmosphérique : 1023 Hp, 23°C, 71%
d’humidité. Mer belle à peu agitée.
Je n’y crois pas... Il y avait si
longtemps : le détecteur radar du bord vient de biper. Il a accroché un écho
qui traduit la présence d’un bateau dans les parages de Bluenote.
À quelle distance, dans quelle
direction, quel est son cap ? Le détecteur ne dit rien de tout cela. Il dit
qu’il a accroché l’écho d’un radar, c’est tout.
Seul l’AIS, le positionnement
satellite, pourrait m’en apprendre plus si le mystérieux navire en est équipé,
ce qui n’était pas le cas de certains que nous avons croisés jusqu’ici. J’aurais
son identité, son port de destination, sa vitesse, son, cap ; sa route
s’inscrirait sur la carte électronique où la nôtre est portée. La « cible »
serait signalée dangereuse si elle se trouvait sur une route de collision.
Je pourrais appeler l’homme de quart
sur le canal 16 de la VHF pour nous entendre sur une éventuelle manœuvre.
Pour l’instant rien n’apparait dans
les deux cercles concentriques de huit et de seize miles de rayon autour de
Bluenote que couvre notre AIS.
Cette part d’incertitude que laisse
l’électronique du bord est toujours un peu stressante pour le néophyte que je
suis. Le bip retentit à nouveau plusieurs fois, à fréquences variables. Je sors
sur le pont, monte sur le cockpit, à côté de la barre, observe la nuit : rien
sous le ciel piqué d’étoiles. Je rentre dans le roof, toujours rien sur l’AIS.
Le bip qui s’était tu pendant
plusieurs minutes, retentit à nouveau. Je l’éteins pour ne pas réveiller mes
deux camarades et ne conserve que le signal lumineux. J’éteins également la
lumière bleutée dans laquelle baigne le roof pendant les nuits de veille. Je ne
veux pas polluer mon champ de vision quand je sors en observation.
Le pont arrière de Bluenote n’est
éclairé que par le reflet de ses feux de navigation sur les voiles : rouge à
bâbord, vert à tribord.
Toujours rien en visuel. Je vais
devoir rester vigilant.
Il y a déjà quatre jours que nous
avons infléchi notre route pour prendre un cap plus à l’ouest, nous éloignant
ainsi de celle des cargos qui remontent du cap de Bonne Espérance.
Nous sommes alors entrés dans une
partie très peu fréquentée de l’océan Indien mais maintenant que nous
approchons de Rodrigues, les routes en direction ou au départ des Mascareignes,
sont en zone de convergence. La probabilité de rencontrer du monde est donc élevée.
L’île est à moins de trois cent milles
nautiques, nous devrions l’atteindre jeudi dans la journée. Tout dépendra du
vent.
Or, pour l’instant, le calme a
succédé à la tempête, conformément aux modèles météos dont nous disposons et
qui se sont révélés, jusqu’ici, d’une grande exactitude.
Le vent de sud-sud-est oscille entre
le 140 et 150, aux alentours de 15 nœuds. Il me faut, de temps à autre,
procéder à de petits ajustements de cap pour rester sur la route.
C’est ainsi : tout au long de cette
deuxième partie de la traversée Cocos-Rodrigues, nous aurons eu une succession
de « tout ou rien ». Jusqu’aux premières heures de la nuit et depuis la veille,
l’océan était tempétueux. Nous n’avions pas connu encore de telles conditions
de mer.
L’indien nous a offert certainement
l’un de ses plus beaux visages : vagues immenses, profondes, gonflées de
puissance, aux crêtes aiguës, écumeuses qui, avant de casser, laissaient
apparaître des liserés vert turquoise, tel un plastique où un acier soumis à de
fortes torsions qui change d’aspect avant de casser.
Un paysage immense, balayé par une
houle croisée avec, se détachant parfois sur l’horizon, d’énormes paquets de
mer comme autant de collines ou de monts au-dessus d’un relief tourmenté.
Vallées et montagnes d’eau,
profondes dépressions, cordillères d’écumes qui emmenaient Bluenote dans des
surfs courts mais rapides, imprimant à sa marche de brusques accélérations et
d’aussi brusques ralentissements.
Hésitation du catamaran sur la crête
des cordillères dans un déhanchement de tango puis plongée des deux patins sur
les flancs de la vague tandis qu’une autre, sournoise, jalouse sans doute de
tant d’accords amoureux avec sa voisine, déboulait sur les flancs du bateau
pour lui asséner de rudes coups de fouet. Grandiose !
Et ce vent, ce souffle permanent de
l’alizé, souffle doux passant au frais avec la vitesse du bateau, souffle
profond venu de l’orient, montant sur l’équateur. Il commande aux profondeurs
océanes, leur ordonnant de lever leurs armées de vagues, il commande aux nuées,
au soleil. Il règne sur l’Indien en seigneur et maître.
Alizé dominateur, souverain, avec
lequel il faut composer pour obtenir le meilleur, contre lequel il vaut mieux
ne pas aller. On imagine un voilier qui remonterait face au vent sur une telle
mer !
L’alizé et Bluenote
m’impressionnaient par la vitesse que l’un et l’autre produisaient. Une course
continue, à pleine puissance, pendant des heures et des heures à plus de dix nœuds
de moyenne, souvent entre douze et treize, dépassant même les dix-sept sous un
coup de boutoir.
Hier, sur 24h incluant la fin du
petit temps, nous avons couvert deux-cent-vingt-quatre miles.
« Ici, je me sens bien, je me sens
en sécurité », me disait Captain Georgio, après le dîner (omelette baveuse aux
pommes de terre fries et aux oignons) alors que nous rêvions, le nez dans les
étoiles. « Si l’on ne maîtrise plus le vent, il suffit d’abandonner la partie,
de se mettre à la fuite. Aucune terre, aucun récif ne t’empêchera de le faire.
Tu as l’immensité pour toi ». Si le vent n’est plus ton allié, l’océan le
restera.
Homme libre, toujours tu chériras la
mer...
(...)
5h16. Voilà près de
deux heures que cela dure : le signal lumineux du détecteur de radar clignote
encore et rien, toujours rien à l’horizon ni sur l’AIS. Peut-être suivons-nous
un voilier qui fait route comme nous vers Rogrigues ? Peut-être sommes nous en
train de le rattraper ? Peut-être est-ce le Canadien de Toronto rencontré aux
Cocos et parti trois jours avant nous sur son monocoque ?
Pendant que j’écrivais ces lignes, Bluenote est un peu sorti de sa trajectoire. La mollesse du vent et la petite vitesse le font déraper. Je corrige de cinq degrés à tribord.
Pendant que j’écrivais ces lignes, Bluenote est un peu sorti de sa trajectoire. La mollesse du vent et la petite vitesse le font déraper. Je corrige de cinq degrés à tribord.
Vivement le retour de la tempête !
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