C’est dimanche ! Vous avez plus de temps aujourd'hui pour lire : alors je publie un nouveau quart de nuit écrit par Jean-Pierre qui aborde pour nous cette nuit-là un sujet éminemment important lors d’une traversée : la pêche !!
Stay tuned pour la suite des aventures….
Alexandra à Sartène, Corse.
"Neuvième
quart de nuit : jamais seul au milieu de nulle part
Jeudi 1er
septembre – 3h17. 631 miles des Cocos ; 1 381
miles de Rodrigues. Vent : 14 nœuds sud-est ; vitesse de Bluenote : 7 nœuds.
Il me faut être vigilant, extrêmement vigilant. Au
moment où je relève Captain Georgio pour ce neuvième quart de nuit, il me
signale deux lumières au large sous le ciel partiellement couvert qui rend la
nuit d’encre. L’une est nettement visible à bâbord, par intermittence dans le
mouvement des vagues. Elle est à notre hauteur.
L’autre s’éloigne à l’arrière par tribord. Les deux
navires n’ont ni AIS (positionnement par satellite), ni radar. Les instruments
du bord ne nous les ont donc pas signalés. Aucun d’eux n’était sur une route
menaçante mais tout de même...
Déjà, la veille en début de soirée un bateau nous
avait intrigués par son signalement. Lui avait bien un radar, notre détecteur
nous l’ayant signalé mais son signal AIS n’a été repéré qu’une fois entré dans
la zone des huit miles et alors qu’il commençait à nous croiser. L’AIS ne nous
transmettait aucune information sur lui, seulement sa vitesse : un peu plus de
neuf nœuds.
Ce ne sont pas des bateaux de commerce, souvent des
supertankers, sur la route Extrême Orient-Le Cap. Eux sont tous équipés d’AIS
et de radar.
Le comportement de ces navires, vitesse lente, lumière
blanche et puissante, fait penser à ces pêcheurs indonésiens croisés lors des
nuits qui ont suivi notre départ de Bali pour les Cocos. Mais d’où viennent-ils
?
Les côtes les plus proches, en dehors de celles de
l’archipel australien où il n’y a pas de pêche hauturière, sont maintenant
celles des îles Chagos dont la plus célèbre, pour sa base militaire
anglo-américaine, est Diego Garcia. Nous avons dépassé les quatre-vingt-sept
degrés de longitude Est qui nous situent au sud du sous-continent indien. Les
bateaux pourraient aussi bien venir du Sri Lanka ou d’Inde.
Nous ne pouvons donc nous contenter de naviguer aux
instruments. Une veille visuelle est indispensable. Dans la journée nous nous
relayons sur le pont sans pour autant qu’un tour de quart ait été formellement
organisé et la nuit, la consigne est de sortir en observation tous les quarts
d’heure.
On n'est jamais seul au monde, même au milieu de nulle
part.
Hier matin, la chance nous a enfin souri.
Alors que le « frais » commençait à sérieusement diminuer dans le frigo et le congélateur, les difficultés d’approvisionnement aux Cocos nous ayant contraints au minimum, nous avons enfin pêché pour la deuxième fois du périple.
Alors que le « frais » commençait à sérieusement diminuer dans le frigo et le congélateur, les difficultés d’approvisionnement aux Cocos nous ayant contraints au minimum, nous avons enfin pêché pour la deuxième fois du périple.
La dernière était une petite bonite sortie de l’eau au
large de Bali qui ne nous avait fait qu’un repas. Cette fois, ce fut du gros :
un « thazard », c’est ainsi que Captain Georgio a baptisé ce poisson d’un
mètre-vingt, à la peau marbrée et à la gueule de prédateur.
Cette prise vient compenser le nombre incalculable de
lignes cassées et de leurres perdus qui avait fini par porter le prix au kilo
de notre dernière prise au-dessus des cours du marché !
Le thazard dont
Georgio a prélevé les filets et que j’ai conditionné dans des sacs de
congélation, nous fera dix repas. De quoi tenir jusqu’à Rodrigues.
Plaisir de déguster un lambeau de chair crue prélevé
alors que le poisson vient d’être sorti de l’eau, plaisir aussi de préparer,
enfarinées et à la poêle, ces longes épaisses et onctueuses dont la consistance
et la couleur rosée, blanche à la cuisson, fait penser à l’espadon.
En dehors de cette brusque poussée d’adrénaline
provoquée par l’épisode du thazard, tsar des mers et de leurs cambuses (NDT : King Fish en anglais) le
programme de nos journées s’inscrit dans une routine émolliente qui, en ne
distinguant guère l’une de l’autre, rend difficile le décompte du temps : celui
qui est passé et celui qui nous reste à passer à bord de Bluenote.
Pour ma part, après mon quart de nuit, qui s’achève
une fois le soleil et Alain levés (le Captain qui s’est couché à 3h, émerge un
peu plus tard), je regagne ma couchette pour récupérer une paire d’heures de
sommeil.
Je sors des draps humides vers 10h pour une douche
dans le compartiment exigu des sanitaires situé dans le flotteur tribord, celui
de l’équipage (le Captain étant installé à bâbord).
Après une brève conférence où le menu du jour est
arrêté démocratiquement (avec tout de même la capacité pour Georgio de faire
valoir son droit de véto. Il l’utilise notamment pour imposer l’incorporation
d’oignons d’en à peu près tout ce que nous mangeons !) je me mets donc en
cuisine, ayant été le seul à manifester un peu d’enthousiasme pour le maniement
des casseroles.
Cuisiner à bord d’un bateau demande beaucoup d’énergie
et d’organisation. Dans cet espace étroit, il faut gérer la fermeture et
l’ouverture du frigo, compliquées avec le roulis et le tangage (souvent les
deux), les flux d’eau de mer et d’eau douce à l’évier pour ne pas trop consommer
de cette dernière (le dessalinisateur fonctionne mal et lentement au large).
Il convient, régulièrement, de faire la plonge des ustensiles pour éviter
l’encombrement et d’être attentif à la cuisson des pâtes ou du riz surtout par
gros temps, quand des vagues sournoises font brusquement se cabrer Bluenote.
La recherche permanente de l’équilibre est d’ailleurs,
pour le préposé à la cambuse, un objectif constant. Bref, il en fallait un, je
suis celui-là...
Sous pilote automatique et dans ce régime régulier de
l’alizé, la marche du catamaran n’impose que quelques réglages de voile. La
navigation n’est donc pas une contrainte de tous les instants.
L’après-midi, chacun se cale où il peut sur les sofas
du carré, dans sa couchette ou sur les banquettes du pont arrière.
Je préfère, pour ma part, m’installer en plein air, plus près du flux océanique, de ses pulsions, de son souffle et de ses exhalations salées.
Je préfère, pour ma part, m’installer en plein air, plus près du flux océanique, de ses pulsions, de son souffle et de ses exhalations salées.
Je me penche des heures sur ma tablette, sans autres
interruptions que celles consacrées à l’observation vigilante de l’horizon à
l’avant de Bluenote.
J’ai ainsi relu Camus (La Peste et l’Etranger), lu le
pensum de Gallo sur l’âme de la France. Je dévore en ce moment La carte et le
territoire de Houellebecq, auteur à l’écriture efficace faute d’être géniale
mais dont j’aime le regard aigu, précis, qu’il porte sur notre société,
l’ironie, l’arrogante provocation qui font s’étouffer les béni-oui-oui de la
bien-pensance.
Au coucher du soleil, nous nous retrouvons pour un
dernier réglage de la voilure, quelques parties de cartes, un rhum orange et
une maigre collation avant de retrouver la succession des quarts de nuit :
Alain jusqu’à minuit, Georgio et puis moi.
Mon premier sommeil jusqu'à ma prise de quart est
haché, court : trois heures, guère plus.
Je craignais que le rythme me perturbe. Je découvre au contraire que les nuits
sont aussi belles que les jours au milieu de l’Indien.
Je vous quitte, il est 5h30, l’aurore éclaire
l’orient. Il ne faut pas manquer le spectacle du soleil qui pointe à l’orée de
ce cinquième jour de mer entre les Cocos et Rodrigues.
Bientôt les Marlins et les Dorades coryphènes pour améliorer l'ordinaire du bord 🙂
RépondreSupprimerA La Réunion le piton de la fournaise est entré en éruption aujourd'hui .
RépondreSupprimerhttp://m.la1ere.francetvinfo.fr/reunion/le-piton-de-la-fournaise-est-en-eruption-396181.html
Espérons qu'il sera toujours éruptif lors du passage de Bluenote !
A La Réunion le piton de la fournaise est entré en éruption aujourd'hui .
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Espérons qu'il sera toujours éruptif lors du passage de Bluenote !
Un poisson pris au Thazard
RépondreSupprimerUn poisson pris au Thazard
RépondreSupprimerC'est passionnant ! Encore merci pour ces récits. Bon courage pour la suite
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