"Septième quart de nuit : Une question délicate
C’est le plaisir retrouvé ! Celui d’écrire ces lignes,
seul dans la nuit, en plein vent, sur le pont arrière de Bluenote. Le plaisir
d’une nuit sans lune et presque sans nuages qui donne carte blanche aux
constellations australes pour dessiner la géographie du ciel.
Par bâbord, la Croix du Sud scintille, point de repère
évident pour le navigateur.
Le catamaran se balance vigoureusement dans une mer
qui reste croisée.
L’épisode des grains qui s’abattaient régulièrement sur nous depuis notre
départ des Cocos, semble passé. L’air est plus sec, un peu plus frais aussi
dans ce 14e sud, ce qui nous permettra de sécher l’humidité des draps dans les
cabines. Car jusqu’ici, il était pratiquement à saturation : l’hygromètre
pointait à plus de 90% !
Malgré les deux ris de la grand-voile, le foc enroulé
partiellement, Bluenote assure une allure comprise entre 7 et 8 nœuds avec un
vent à 15 nœuds bien établi dans le secteur sud sud-est.
Nous sommes toujours sur une route sud qui nous
obligera à remonter sur Rodrigues aux deux-tiers du parcours. En combinant ce
cap et une vitesse maîtrisée, nous comptons éviter le front perturbé qui doit
croiser notre trajectoire vendredi pendant une vingtaine d’heures.
Les vents y sont annoncés à plus de quarante nœuds.
Hier matin, deux bâtiments ont été signalés à tribord par l’AIS, un cargo et un
super tanker de plus de 300 mètres qui se dirigeait vers le port chinois de
Tianjin via le Sunda Straight, le détroit de la Sonde entre Sumatra et Java.
À 14 miles de nous, il était impossible de les voir.
Depuis, nous n’en avons pas croisé d’autres mais une surveillance constante de
l’AIS (le positionnement par satellite) s’impose car nous sommes sur une route
maritime qui relie la mer de Chine au Cap de Bonne Espérance via les détroits
indonésiens.
Pour assurer la cuisine du bord, tâche qui me revient,
il faut faire preuve de plus en plus d’imagination car les ingrédients ne sont
guère variés. La pêche ne donnant pratiquement rien depuis notre départ, en
raison sans doute de notre trop grande vitesse, et en l’absence de viande, j’en
suis réduit à cuisiner des pommes de terre, des carottes, des tomates, de
l’oignon et des œufs pour l’apport en protéines.
Je tente, avec les pâtes et le riz, toutes les
combinaisons possibles mais ce régime ne sera pas sans conséquence sur notre
ligne... Un mal pour un bien.
Samedi, veille du départ des Cocos et lendemain de la
venue de l’avion qui assure le ravitaillement de l’archipel en produits frais
un vendredi sur deux, nous nous sommes bien rendus en ferry au supermarché de
Home Island pour nous réapprovisionner. Las, le zinc était resté à Perth, cloué
au sol par le mauvais temps.
C’est d’ailleurs samedi, en attendant le ferry du
retour, que nous l’avons rencontrée. Elle était en compagnie de sa coéquipière,
nièce du propriétaire et skipper du catamaran qui avait jeté l’ancre devant
nous trois jours auparavant.
Nous savions de lui, pour avoir échangé le jour de
leur arrivée, qu’il était Chilien, originaire de la région du détroit de
Magellan, qu’il avait acheté le bateau en Australie et qu’il se rendait aux
Maldives puis aux Seychelles après être passé par Bali. Un homme entre deux
âges, portant beau, au visage trahissant une origine métissée, passionné,
s’était-il vanté, de chasse sous-marine. Pour tout dire, sa façon de parler
avec un brin de morgue, ne m’avait pas laissé une bonne impression. Mais bon...
D’elle, jeune femme aux yeux gris bleus, un peu plus
de la trentaine, très svelte presque maigre, nous savions qu’elle était
italienne, de la région de Rome.
Samedi en attendant le skipper parti consulter un médecin, elle s’est confiée
un peu plus, parlant de sa passion pour la mer, du projet commun avec son petit
ami d’acheter un bateau. Elle nous dit qu’elle avait trouvé l’embarquement à
bord du catamaran, via le site spécialisé « Findacrew », qu’elle l’avait
rejoint à Bali pour un voyage jusqu’aux Maldives d’où elle devait prendre
l’avion pour Rome.
Elle s’était ensuite lancée dans une longue conversation
technique, mi en français mi en anglais, avec Alain et Captain Georgio
laquelle, à vrai dire, ne m’intéressa guère.
En revanche, ce qu’elle lâcha au retour du Chilien et
avant d’embarquer dans l’annexe pour retourner au catamaran, me troubla : « le
skipper is not a good guy », le skipper n’est pas un brave type ! Dit comme ça,
à deux pas de lui et au risque d’être entendu, me fit penser à une sorte
d’appel à l’aide.
Mes doutes se confirmèrent le lendemain dimanche, jour
de notre départ. Alors que Captain Georgio, grimpé au mât, réparait un cordage
qui avait cassé dans la nuit, je la vis sortir du roof. Profitant de l’absence
du reste de l’équipage parti à terre, elle se glissa dans l’eau avec masque et
tuba et rejoignit Bluenote.
Elle nous expliqua alors, que le skipper lui faisait
un chantage sexuel, la menaçant de la débarquer aux Cocos si elle ne lui cédait
pas. « Pourriez-vous me prendre avec vous ? », nous demanda-t-elle, se
confondant en excuses pour sa requête : « je vous jure, ce n’est pas dans mes
habitudes de faire ça. Je ne suis pas une stoppeuse des mers ».
La prendre avec nous alors qu’elle pouvait porter
plainte contre son skipper auprès de la police de l’archipel australien,
laquelle aurait sans doute retenu le catamaran jusqu’à ce qu’un arrangement
soit trouvé conformément au principe de droit anglo-saxon du gentleman
agreement... la demande de l’Italienne nous dérouta, partagés que nous étions
entre méfiance et compassion.
Nous refusâmes, ce qui ne l’étonna pas. Nous avions
déjà effectué les formalités du départ, déposé notre liste d’équipage et obtenu
les visas de sortie.
Impossible de revenir là-dessus, aucune permanence
n’étant assurée le week-end à la police aux frontières et aux douanes de
Cocos-Keeling. La jeune femme nous remercia de l’avoir écoutée.
Quelques heures après, Bluenote prenait le large."
Sage décision ...
RépondreSupprimerDans ce genre de traversées la prudence est la règle et le danger et le risque souvent la terre.
J'ai du mal à comprendre que l'on puisse ainsi embarquer dans le microcosme qu'est un voilier avec un inconnu et s'adresser ensuite à un autre bateau et trois autres inconnus plutôt qu'aux autorités en cas de problème ...
Bises
Paul
Mais c'est effrayant cette histoire Oo
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