mercredi 14 septembre 2016

Traversée Cocos Keeling-Rodrigues – 11ème quart de nuit



Ce matin, Bluenote a levé l’ancre de Rodrigues. Direction l’île Maurice.
C’est la dernière partie du voyage pour Jean-Pierre et Alain. Nous en aurons des nouvelles dans 2 ou 3 jours. Mais avant cela, poursuivons le récit des quarts de nuit de Jean-Pierre pendant la traversée de Cocos Keeling à Rodrigues.

 Alexandra à Sète.



" Onzième quart de nuit : Putain de vent ! 


Samedi 3 septembre3h23 : 1038 miles de Rodrigues, 976 miles de Cocos.

Dans une vingtaine de miles, nous aurons atteint la moitié de notre voyage entre l’archipel australien des Cocos Keeling et Rodrigues, petite île des Mascareignes appartenant à Maurice. Pourtant rien ne va en ce début de quart.

Le vent, dans la nuit, a abandonné le secteur sud-est pour s’orienter nettement à l’est, nord-est. Le foc faseille et la grand-voile, toujours réduite de trois ris, menace d’empanner.

En pleine nuit, il serait délicat de procéder à un virement de bord. Je joue donc avec le pilote automatique mais, malgré ce, la flèche du cadran de l’anémomètre a une fâcheuse tendance à aller au-delà du 150 vers l'arrière et, bien sûr, Bluenote s’éloigne progressivement de sa route.

Pourtant tout s’était bien passé hier. Notre stratégie qui consistait, en jouant sur une petite vitesse et une route plus sud, à contourner le front perturbé issu d’une importante dépression australe, avait fini par payer.

Le fort vent du début de journée qui donnait une mer cassante sous un ciel chargé, avait fini par se calmer en début d’après-midi.
Le beau temps est revenu et l’optimisme avec ; nous allions enfin pouvoir offrir de la toile à Bluenote et revenir sur une route plus directe !

Ce vendredi devait donc donner une nouvelle orientation à notre long voyage en entrant dans sa deuxième partie.

En milieu d’après-midi nous avons déplacé le chariot du génois à bâbord et procédé, vers 18h, à une correction de cap en abattant de 25° vers l’ouest. Nous avons également retardé nos montres d’une heure pour nous caler sur le soleil. Nous sommes, en ce début de week-end, à la longitude de Colombo, capitale du Sri Lanka : 81°Est.
Je croise les doigts pour que le vent reprenne le rythme normal de l’alizé.
81° Est, longitude de Colombo.
 
J’ai besoin de ces projections régulières de la position de Bluenote sur les terres continentales. Plus que les degrés et les minutes, notions très théoriques pour moi, ces références aux villes et aux pays du continent asiatique, me permettent de matérialiser le voyage. Nous sommes partis de Bali à la hauteur de Hongkong, nous voici maintenant au niveau de Colombo au Sri Lanka, c’est tout de même plus parlant que d’écrire : Nous sommes partis du 115° Est et nous en sommes au 81e.

(...)
 4h40 – Longs instants de stress du navigateur débutant : j’en suis toujours à faire des va-et-vient entre le pont arrière pour surveiller « de visu » le comportement de la grand-voile et le roof pour suivre l’orientation du vent et la route du bateau qui décline trop vers le sud, quand retentit le « bip » du détecteur de radar. Il en a « accroché » un autre dans les environs. Je sors et ne vois rien, aucun feu de position sur l’horizon encore plongé dans la nuit.

Retour dans le roof : le bip retentit toujours et le vent se stabilise en dessous des 150. Rien sur l’écran de l’AIS, le système de positionnement satellite.
Se pourrait-il que le bâtiment qui croise dans nos parages n’en soit pas équipé comme le cas s’est déjà présenté ?
Pas d’AIS certes, mais pas de feu de position, ici, au milieu de l’Indien, loin des zones de pêche où évoluent les petites embarcations côtières : ce serait très étonnant. Le bip retentit encore. Je sors : aucun feu. Je corrige le pilote automatique. Et là, j’entends Captain Georgio que le bip a réveillé : « tu peux le couper, le bateau doit être loin ». Il coupe lui-même le signal sonore de l’avertisseur radar tandis que le témoin lumineux continue de clignoter. Georgio est retourné se coucher.

Le jour se lève sur l’Indien : rien à l’horizon.
 
Je sors du congélateur notre portion quotidienne de thazard pour le déjeuner. Je suggérerai de le préparer cette fois avec des pommes de terre bouillies accompagnées d’une sauce au lait de coco et curry. Hier, c’était riz et... Oignons.

Il me faut rendre ici un hommage appuyé à ce magnifique poisson de l’Indien, sans doute suffisamment déprimé pour se jeter sur le rapala, tentacules rose fluo et sourire béat, qui décorait le bout de notre ligne car la voracité n’explique pas qu’on puisse prendre un cadeau Bonux pour un « poufre de roc ».

De ses longes à la chair rosée, blanche à la cuisson, nous avons extrait dix belles portions qui feront autant de repas pour nous trois. J’ai rarement dégusté une chair de poisson aussi onctueuse (tourne et retourne à la poêle) issue de filets d’une telle épaisseur.

Je laisse échapper une larme, vite séchée, sur le suicide du thazard en me remémorant le vieux dicton : « A toute chose, malheur est bon ».

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