jeudi 15 septembre 2016

Traversée Cocos Keeling-Rodrigues – 13ème quart de nuit



"Treizième quart de nuit : le vieux galion

Lundi 5 septembre3h22 ; 730 miles de Rodrigues, 1272 miles des Cocos ; 18°60’ Sud, 76°21’ Est ; vitesse au GPS autour des 6 nœuds ; vent Sud-Est dans le 130. Pression atmosphérique 1020 MB, température 24°, 87% d’humidité.


La pétole aura duré de 3h du matin jusqu’en début d’après-midi hier dimanche. Pendant mon quart, il y avait si peu de vent que l’éolienne a fini par s’arrêter de tourner. Notre vitesse est, un moment, tombée en dessous de trois nœuds.

Un vent instable qui plus est. Alors qu’il était de secteur nord, j’ai d’abord tenté d’aller chercher un peu d’air et de vitesse dans le sud, m’éloignant ainsi de la route d’un demi-mille. Puis une fine pluie s’est mise à tomber et le vent, du moins ce qu’il en restait, est passé au secteur sud. Je suis alors remonté dans le nord.

Au matin, Captain Georgio et Alain ont envoyé le spi et ses cent dix mètres carrés de toile bleu lagon. Cette voile a tenté de récupérer le peu de vent arrière qu'il nous restait. Pendant tout le temps qu’a duré la traversée du talweg, le ciel était plombé, la mer mollassonne.

En fin de matinée l’horizon a fini par se dégager. Lentement.

Progressivement, tout au long de l’après-midi, le ciel est devenu plus clair, le soleil s’est mis à briller, la mer est passée du gris au bleu. Une petite brise de sud-est s’est levée, nous poussant au-delà des cinq nœuds.

Au début de ce treizième quart de nuit, la situation est la même.
Nous aurons finalement parcouru 140 miles en 24 heures.
Pas formidable mais pas si mal.

On doit d’avancer malgré tout, aux caractéristiques de Bluenote. Son mât à aile rotatif, haut de vingt mètres pour cent-dix kilos seulement, est tout en carbone. Sans hauban, relié au pont par deux « bastaques » qui permettent de le rigidifier à certaines vitesses, le mât offre de lui-même son meilleur profil au vent et surtout le meilleur angle d’attaque de la grand-voile.

Un tel gréement fait de ce « Looping » un catamaran unique mais c’est l’ensemble de sa conception qui le rend très performant. Le carbone, le kevlar, utilisés pour renforcer ses structures, ont l’avantage de ne pas alourdir le bateau. Son indice d’énergie est légèrement supérieur à 0,8 en charge : un peu plus de 800 kilos pour 10 mètres-carrés de toile.

Au début de cette deuxième semaine de mer depuis notre départ des Cocos, à l’aube du neuvième jour de navigation sans discontinuer, chacun croise les doigts à bord pour que l’alizé reprenne de la vigueur et nous pousse un peu plus vite vers Rodrigues dont nous avons longuement étudié la carte hier matin.

Cette petite île de l’archipel des Mascareignes a des caractéristiques particulières. Elle est entourée d’un immense lagon et dominée par un piton basaltique culminant à trois cents mètres. Il est constitué de plusieurs sommets : le mont Quatre Vents, le mont Papai, le mont Tonnerre, le mont Limon qui sont les anciens cônes de ce volcan éteint.
Bien que faisant partie du Commonwealth à l’instar de Maurice dont elle dépend, ces noms évoquent l’histoire française de Rodrigues et de cette partie de l’océan indien au moment où notre pays, sous Louis XIV, assurait une présence maritime sur les mers du globe face à la couronne britannique.
Haute sur l’eau à la différence de l’atoll des Cocos, Rodrigues devrait être visible de loin sur la ligne d’horizon.
 
J’attends avec impatience le moment où l’un d’entre nous criera « terre, terre ! » comme le faisaient les vigies aux glorieux temps de la « Royale ». Ce devrait-être jeudi dans la soirée ou vendredi au matin. A moins que le vent ne se renforce...

A cette heure de la nuit, installé dans le roof, tasse de thé à portée de la main, j’entends le bouillonnement de la vague d’étrave, le sifflement du vent et le grincement du mât dans son puits alors que Bluenote se balance doucement en traçant sa route. Étrange ambiance sonore.

À bord de ce catamaran du XXIe siècle, l’imagination aidant, j’ai l’impression d’être un marin embarqué sur un vieux galion pour une course sur l’Indien au-delà de Rodrigues et de Maurice, vers l’île Bourbon, la plus grande des Mascareignes, vers la terre de France.

A part ça... Un petit détail : je me rends compte que je n’ai pas mis une paire de chaussures depuis vingt jours et notre départ de Bali. Nous allons pieds nus sur Bluenote et ce n’est pas si mal...

Lame d’acier sur coulée de plomb, l’orient éclaire l’océan d’une lumière tourmentée. Les nuées contiennent le feu du levant derrière leurs épaisses couches d’ouate. L’une d’elles vient de se déchirer sur un ciel de séraphins. Le souffle de l’alizé est doux, les vagues moutonnent. Face à moi, vers l’occident, l’horizon est anthracite. Obscur comme une menace.

Il tombe une pluie fine. Nous sommes à la longitude de Cochin, en Inde du sud, prêts à quitter les côtes du sous-continent. Prêts à passer de l’Asie à l’Afrique.

Ainsi commence notre quatorzième jour de mer sous les voiles de l’Indien. "

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