samedi 10 septembre 2016

Traversée Cocos Keeling-Rodrigues - 7ème quart de nuit



"Septième quart de nuit : Une question délicate

Mardi 30 août – 3h14 ; 272 miles de Cocos, 1 735 miles de Rodrigues. Vitesse 7 à 8 nœuds, vent 15 nœuds.

C’est le plaisir retrouvé ! Celui d’écrire ces lignes, seul dans la nuit, en plein vent, sur le pont arrière de Bluenote. Le plaisir d’une nuit sans lune et presque sans nuages qui donne carte blanche aux constellations australes pour dessiner la géographie du ciel.
Par bâbord, la Croix du Sud scintille, point de repère évident pour le navigateur.
Le catamaran se balance vigoureusement dans une mer qui reste croisée.
 
L’épisode des grains qui s’abattaient régulièrement sur nous depuis notre départ des Cocos, semble passé. L’air est plus sec, un peu plus frais aussi dans ce 14e sud, ce qui nous permettra de sécher l’humidité des draps dans les cabines. Car jusqu’ici, il était pratiquement à saturation : l’hygromètre pointait à plus de 90% !

Malgré les deux ris de la grand-voile, le foc enroulé partiellement, Bluenote assure une allure comprise entre 7 et 8 nœuds avec un vent à 15 nœuds bien établi dans le secteur sud sud-est.

Nous sommes toujours sur une route sud qui nous obligera à remonter sur Rodrigues aux deux-tiers du parcours. En combinant ce cap et une vitesse maîtrisée, nous comptons éviter le front perturbé qui doit croiser notre trajectoire vendredi pendant une vingtaine d’heures.
Les vents y sont annoncés à plus de quarante nœuds.
 
Hier matin, deux bâtiments ont été signalés à tribord par l’AIS, un cargo et un super tanker de plus de 300 mètres qui se dirigeait vers le port chinois de Tianjin via le Sunda Straight, le détroit de la Sonde entre Sumatra et Java.

À 14 miles de nous, il était impossible de les voir. Depuis, nous n’en avons pas croisé d’autres mais une surveillance constante de l’AIS (le positionnement par satellite) s’impose car nous sommes sur une route maritime qui relie la mer de Chine au Cap de Bonne Espérance via les détroits indonésiens.

Pour assurer la cuisine du bord, tâche qui me revient, il faut faire preuve de plus en plus d’imagination car les ingrédients ne sont guère variés. La pêche ne donnant pratiquement rien depuis notre départ, en raison sans doute de notre trop grande vitesse, et en l’absence de viande, j’en suis réduit à cuisiner des pommes de terre, des carottes, des tomates, de l’oignon et des œufs pour l’apport en protéines.

Je tente, avec les pâtes et le riz, toutes les combinaisons possibles mais ce régime ne sera pas sans conséquence sur notre ligne... Un mal pour un bien.

Samedi, veille du départ des Cocos et lendemain de la venue de l’avion qui assure le ravitaillement de l’archipel en produits frais un vendredi sur deux, nous nous sommes bien rendus en ferry au supermarché de Home Island pour nous réapprovisionner. Las, le zinc était resté à Perth, cloué au sol par le mauvais temps.


C’est d’ailleurs samedi, en attendant le ferry du retour, que nous l’avons rencontrée. Elle était en compagnie de sa coéquipière, nièce du propriétaire et skipper du catamaran qui avait jeté l’ancre devant nous trois jours auparavant.

Nous savions de lui, pour avoir échangé le jour de leur arrivée, qu’il était Chilien, originaire de la région du détroit de Magellan, qu’il avait acheté le bateau en Australie et qu’il se rendait aux Maldives puis aux Seychelles après être passé par Bali. Un homme entre deux âges, portant beau, au visage trahissant une origine métissée, passionné, s’était-il vanté, de chasse sous-marine. Pour tout dire, sa façon de parler avec un brin de morgue, ne m’avait pas laissé une bonne impression. Mais bon...

D’elle, jeune femme aux yeux gris bleus, un peu plus de la trentaine, très svelte presque maigre, nous savions qu’elle était italienne, de la région de Rome.
 
Samedi en attendant le skipper parti consulter un médecin, elle s’est confiée un peu plus, parlant de sa passion pour la mer, du projet commun avec son petit ami d’acheter un bateau. Elle nous dit qu’elle avait trouvé l’embarquement à bord du catamaran, via le site spécialisé « Findacrew », qu’elle l’avait rejoint à Bali pour un voyage jusqu’aux Maldives d’où elle devait prendre l’avion pour Rome.

Elle s’était ensuite lancée dans une longue conversation technique, mi en français mi en anglais, avec Alain et Captain Georgio laquelle, à vrai dire, ne m’intéressa guère.

En revanche, ce qu’elle lâcha au retour du Chilien et avant d’embarquer dans l’annexe pour retourner au catamaran, me troubla : « le skipper is not a good guy », le skipper n’est pas un brave type ! Dit comme ça, à deux pas de lui et au risque d’être entendu, me fit penser à une sorte d’appel à l’aide.

Mes doutes se confirmèrent le lendemain dimanche, jour de notre départ. Alors que Captain Georgio, grimpé au mât, réparait un cordage qui avait cassé dans la nuit, je la vis sortir du roof. Profitant de l’absence du reste de l’équipage parti à terre, elle se glissa dans l’eau avec masque et tuba et rejoignit Bluenote.

Elle nous expliqua alors, que le skipper lui faisait un chantage sexuel, la menaçant de la débarquer aux Cocos si elle ne lui cédait pas. « Pourriez-vous me prendre avec vous ? », nous demanda-t-elle, se confondant en excuses pour sa requête : « je vous jure, ce n’est pas dans mes habitudes de faire ça. Je ne suis pas une stoppeuse des mers ».

La prendre avec nous alors qu’elle pouvait porter plainte contre son skipper auprès de la police de l’archipel australien, laquelle aurait sans doute retenu le catamaran jusqu’à ce qu’un arrangement soit trouvé conformément au principe de droit anglo-saxon du gentleman agreement... la demande de l’Italienne nous dérouta, partagés que nous étions entre méfiance et compassion.

Nous refusâmes, ce qui ne l’étonna pas. Nous avions déjà effectué les formalités du départ, déposé notre liste d’équipage et obtenu les visas de sortie.
Impossible de revenir là-dessus, aucune permanence n’étant assurée le week-end à la police aux frontières et aux douanes de Cocos-Keeling. La jeune femme nous remercia de l’avoir écoutée.
 
Quelques heures après, Bluenote prenait le large."


2 commentaires:

  1. Sage décision ...
    Dans ce genre de traversées la prudence est la règle et le danger et le risque souvent la terre.
    J'ai du mal à comprendre que l'on puisse ainsi embarquer dans le microcosme qu'est un voilier avec un inconnu et s'adresser ensuite à un autre bateau et trois autres inconnus plutôt qu'aux autorités en cas de problème ...
    Bises
    Paul

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