dimanche 11 septembre 2016

Traversée Cocos Keeling-Rodrigues – 9ème quart de nuit


C’est dimanche ! Vous avez plus de temps aujourd'hui pour lire : alors je publie un nouveau quart de nuit écrit par Jean-Pierre qui aborde pour nous cette nuit-là un sujet éminemment important lors d’une traversée : la pêche !!
Stay tuned pour la suite des aventures….
Alexandra à Sartène, Corse.

"Neuvième quart de nuit : jamais seul au milieu de nulle part

Jeudi 1er septembre – 3h17. 631 miles des Cocos ; 1 381 miles de Rodrigues. Vent : 14 nœuds sud-est ; vitesse de Bluenote : 7 nœuds.

Il me faut être vigilant, extrêmement vigilant. Au moment où je relève Captain Georgio pour ce neuvième quart de nuit, il me signale deux lumières au large sous le ciel partiellement couvert qui rend la nuit d’encre. L’une est nettement visible à bâbord, par intermittence dans le mouvement des vagues. Elle est à notre hauteur.
L’autre s’éloigne à l’arrière par tribord. Les deux navires n’ont ni AIS (positionnement par satellite), ni radar. Les instruments du bord ne nous les ont donc pas signalés. Aucun d’eux n’était sur une route menaçante mais tout de même...

Déjà, la veille en début de soirée un bateau nous avait intrigués par son signalement. Lui avait bien un radar, notre détecteur nous l’ayant signalé mais son signal AIS n’a été repéré qu’une fois entré dans la zone des huit miles et alors qu’il commençait à nous croiser. L’AIS ne nous transmettait aucune information sur lui, seulement sa vitesse : un peu plus de neuf nœuds.

Ce ne sont pas des bateaux de commerce, souvent des supertankers, sur la route Extrême Orient-Le Cap. Eux sont tous équipés d’AIS et de radar.

Le comportement de ces navires, vitesse lente, lumière blanche et puissante, fait penser à ces pêcheurs indonésiens croisés lors des nuits qui ont suivi notre départ de Bali pour les Cocos. Mais d’où viennent-ils ?

Les côtes les plus proches, en dehors de celles de l’archipel australien où il n’y a pas de pêche hauturière, sont maintenant celles des îles Chagos dont la plus célèbre, pour sa base militaire anglo-américaine, est Diego Garcia. Nous avons dépassé les quatre-vingt-sept degrés de longitude Est qui nous situent au sud du sous-continent indien. Les bateaux pourraient aussi bien venir du Sri Lanka ou d’Inde.

Nous ne pouvons donc nous contenter de naviguer aux instruments. Une veille visuelle est indispensable. Dans la journée nous nous relayons sur le pont sans pour autant qu’un tour de quart ait été formellement organisé et la nuit, la consigne est de sortir en observation tous les quarts d’heure.

On n'est jamais seul au monde, même au milieu de nulle part.

Hier matin, la chance nous a enfin souri.
Alors que le « frais » commençait à sérieusement diminuer dans le frigo et le congélateur, les difficultés d’approvisionnement aux Cocos nous ayant contraints au minimum, nous avons enfin pêché pour la deuxième fois du périple.

La dernière était une petite bonite sortie de l’eau au large de Bali qui ne nous avait fait qu’un repas. Cette fois, ce fut du gros : un « thazard », c’est ainsi que Captain Georgio a baptisé ce poisson d’un mètre-vingt, à la peau marbrée et à la gueule de prédateur.


Cette prise vient compenser le nombre incalculable de lignes cassées et de leurres perdus qui avait fini par porter le prix au kilo de notre dernière prise au-dessus des cours du marché !

Le thazard  dont Georgio a prélevé les filets et que j’ai conditionné dans des sacs de congélation, nous fera dix repas. De quoi tenir jusqu’à Rodrigues.

Plaisir de déguster un lambeau de chair crue prélevé alors que le poisson vient d’être sorti de l’eau, plaisir aussi de préparer, enfarinées et à la poêle, ces longes épaisses et onctueuses dont la consistance et la couleur rosée, blanche à la cuisson, fait penser à l’espadon.

En dehors de cette brusque poussée d’adrénaline provoquée par l’épisode du thazard, tsar des mers et de leurs cambuses (NDT : King Fish en anglais) le programme de nos journées s’inscrit dans une routine émolliente qui, en ne distinguant guère l’une de l’autre, rend difficile le décompte du temps : celui qui est passé et celui qui nous reste à passer à bord de Bluenote.

Pour ma part, après mon quart de nuit, qui s’achève une fois le soleil et Alain levés (le Captain qui s’est couché à 3h, émerge un peu plus tard), je regagne ma couchette pour récupérer une paire d’heures de sommeil.

Je sors des draps humides vers 10h pour une douche dans le compartiment exigu des sanitaires situé dans le flotteur tribord, celui de l’équipage (le Captain étant installé à bâbord).

Après une brève conférence où le menu du jour est arrêté démocratiquement (avec tout de même la capacité pour Georgio de faire valoir son droit de véto. Il l’utilise notamment pour imposer l’incorporation d’oignons d’en à peu près tout ce que nous mangeons !) je me mets donc en cuisine, ayant été le seul à manifester un peu d’enthousiasme pour le maniement des casseroles.

Cuisiner à bord d’un bateau demande beaucoup d’énergie et d’organisation. Dans cet espace étroit, il faut gérer la fermeture et l’ouverture du frigo, compliquées avec le roulis et le tangage (souvent les deux), les flux d’eau de mer et d’eau douce à l’évier pour ne pas trop consommer de cette dernière (le dessalinisateur fonctionne mal et lentement au large).
 
Il convient, régulièrement, de faire la plonge des ustensiles pour éviter l’encombrement et d’être attentif à la cuisson des pâtes ou du riz surtout par gros temps, quand des vagues sournoises font brusquement se cabrer Bluenote.

La recherche permanente de l’équilibre est d’ailleurs, pour le préposé à la cambuse, un objectif constant. Bref, il en fallait un, je suis celui-là...

Sous pilote automatique et dans ce régime régulier de l’alizé, la marche du catamaran n’impose que quelques réglages de voile. La navigation n’est donc pas une contrainte de tous les instants.

L’après-midi, chacun se cale où il peut sur les sofas du carré, dans sa couchette ou sur les banquettes du pont arrière.
Je préfère, pour ma part, m’installer en plein air, plus près du flux océanique, de ses pulsions, de son souffle et de ses exhalations salées.
Je me penche des heures sur ma tablette, sans autres interruptions que celles consacrées à l’observation vigilante de l’horizon à l’avant de Bluenote.

J’ai ainsi relu Camus (La Peste et l’Etranger), lu le pensum de Gallo sur l’âme de la France. Je dévore en ce moment La carte et le territoire de Houellebecq, auteur à l’écriture efficace faute d’être géniale mais dont j’aime le regard aigu, précis, qu’il porte sur notre société, l’ironie, l’arrogante provocation qui font s’étouffer les béni-oui-oui de la bien-pensance.

Au coucher du soleil, nous nous retrouvons pour un dernier réglage de la voilure, quelques parties de cartes, un rhum orange et une maigre collation avant de retrouver la succession des quarts de nuit : Alain jusqu’à minuit, Georgio et puis moi.
Mon premier sommeil jusqu'à ma prise de quart est haché, court : trois heures, guère plus.
 
Je craignais que le rythme me perturbe. Je découvre au contraire que les nuits sont aussi belles que les jours au milieu de l’Indien.

Je vous quitte, il est 5h30, l’aurore éclaire l’orient. Il ne faut pas manquer le spectacle du soleil qui pointe à l’orée de ce cinquième jour de mer entre les Cocos et Rodrigues.

7 commentaires:

  1. Bientôt les Marlins et les Dorades coryphènes pour améliorer l'ordinaire du bord 🙂

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  2. A La Réunion le piton de la fournaise est entré en éruption aujourd'hui .

    http://m.la1ere.francetvinfo.fr/reunion/le-piton-de-la-fournaise-est-en-eruption-396181.html

    Espérons qu'il sera toujours éruptif lors du passage de Bluenote !

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  3. A La Réunion le piton de la fournaise est entré en éruption aujourd'hui .

    http://m.la1ere.francetvinfo.fr/reunion/le-piton-de-la-fournaise-est-en-eruption-396181.html

    Espérons qu'il sera toujours éruptif lors du passage de Bluenote !

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  4. C'est passionnant ! Encore merci pour ces récits. Bon courage pour la suite

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  5. C'est passionnant ! Encore merci pour ces récits. Bon courage pour la suite

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